Pleuvoir peu

Martine ROUHART, Il faut peu de mots, Cygne, 2022, 52 p., 10 €, ISBN : 9782849247099

rouhart il faut peu de motsMartine Rouhart, qui choisit d’intituler son dernier recueil Il faut peu de mots, joint le geste à la parole en proposant une poignée de textes brefs et sans apprêt. L’on y rencontre une parole poétique méditative, réflexive et ludique.

Il faut peu de mots, livre de poèmes, vient de paraître aux Éditions du Cygne (Paris). Son titre évoque une ébauche d’art poétique que le recueil mettra traditionnellement en œuvre. Les textes de Martine Rouhart n’y excèdent pas six vers, eux-mêmes remarquables de brièveté. Écrire peu pour dire beaucoup, voilà qui semble le projet avoué de l’écrivaine qui cheminera avec agilité autour de cette idée.

Il faut peu de mots
pour livrer
de grands fragments
de soi

Ouvrant douze des quarante-quatre poèmes, l’anaphore du titre y joue le rôle d’amorce et de refrain. C’est que l’acte d’écrire est au cœur du propos d’un recueil agencé avec soin. Point de départ de ce qui se présente comme une venue au monde, le mot, nu dans sa simplicité, y incarne la tentative d’un minimalisme fécond, d’une incarnation par la parole et d’un goût de l’infime. Ici le mot n’est plus un mot, ou bien n’est plus qu’un mot, objet utile à un nouveau travail, une nouvelle naissance.

Un mot
peut-être deux
pour se remettre au monde
au premier pas du jour

Sensible à l’écoulement irrépressible des mots, qui est celui de la pensée et de la vie, l’instance poétique se hasarde à saisir l’éphémère. De ce flux, il est question de laisser une trace elle-même éphémère. Forme de respect, conscience mélancolique d’une nature observée avec humilité et à laquelle les mots pris comme matière ne prétendent pas se soustraire.

En marchant
j’écris des mots
sur les nuages
tant mieux
si leur trace s’efface
avec le vent

Seule forme de résistance : la proposition d’un regard plus clair, plus mesuré, plus nu. Les vers les plus contemplatifs rappelant parfois le pas de recul proposé par un Serge Nuñez Tolin (« Les mots sont une présence de plus, inutile à la présence des choses. » dans Noeud noué par personne) ou un François Jacqmin (et la célèbre ouverture des Saisons : « Ce qu’il y a à dire du printemps, le printemps le dit. »).

On ne trouve pas
les mots qu’il faut
un oiseau
se pose
il n’y a plus rien
à dire

Pleuvoir, en somme, mais pleuvoir peu, voici en quoi pourrait se traduire la proposition de Martine Rouhart dont l’écriture poétique se tient au plus proche du naturel des choses, les plus extérieures ou les plus intimes. Derrière ou à côté de ces poèmes discrets, une nébuleuse d’indices laisse deviner au lecteur que quelque chose d’une identité et d’une conscience palpite, dont le portrait en négatif est probablement la composante essentielle de ce chant poétique.

Il faut peu de mots
pour qu’il pleuve
doucement
dans un poème

Antoine Labye

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