Arnaud DE LA CROIX, Les Templiers. Des croisades au bûcher, Racine, 2022, 168 p., 25 €, ISBN : 9782390252054
Dans ce livre-somme, l’historien, spécialiste du Moyen Âge, le philosophe Arnaud de la Croix réinterroge l’ordre religieux et militaire des Templiers auquel il a déjà consacré de nombreux essais. Approchant la matière historique par une méthodologie du questionnement, il retrace l’avènement de cet ordre dans les années 1118-1120, au moment des croisades, son expansion, sa montée en puissance avant sa chute, deux cents ans plus tard. L’Histoire est affaire de regard, de mise en perspective, d’enquêtes policières et de traversée des légendes qui entourent les faits. Dressant l’échiquier du monde européen et asiatique du Moyen Âge central, Arnaud de la Croix lie la création de l’Ordre du Temple au mouvement des croisades dont il compose une milice chargée de reconquérir la Terre sainte. Lorsqu’en 1095, le pape Urbain II prêche la première croisade et appelle les chrétiens d’Occident à venir en aide aux chrétiens d’Orient, la première expédition aboutit à la prise de Jérusalem. C’est dans ce contexte politico-religieux, dans cet antagonisme spirituel entre le christianisme et l’islam que doit se comprendre la fondation de cette nouvelle forme de chevalerie chrétienne.
D’emblée, Les Templiers. Des croisades au bûcher définit la singularité inédite de cette milice des Pauvres Chevaliers du Christ et du Temple de Salomon : constituer une confrérie de moines-soldats qui unit pour la première fois le glaive spirituel et le glaive temporel, l’idéal chrétien et la force des armes. L’Occident actuel est devenu étranger à cette alliance de deux dimensions qu’il n’envisage que sous la guise de leur séparation. Dès sa constitution, le Temple, dirigé par Hugues de Payns, le fondateur et premier maître de l’ordre, est en butte à de violentes critiques issues des théologiens : « est-il légitime (…) de servir Dieu tout en massacrant les infidèles ? ». Une question qui, au-delà des Templiers, vaut pour les croisades et affiche sa contemporanéité : « peut-on tuer les mécréants, les ennemis, verser le sang, donner la mort au nom de Dieu ? ». Arnaud de la Croix expose qu’au milieu des critiques virulentes à l’encontre de religieux-soldats tuant au nom du Christ s’éleva la voix de Bernard de Clairvaux qui fit l’éloge de « ce bras armé du Christ et de l’Église ». Justifié, légitimé et béni, paré de prestige spirituel, l’ordre du Temple s’illustrera par son rôle central dans la deuxième croisade et les croisades suivantes.
Comprenant un important dossier iconographique, l’essai conjugue les éclairages économiques (les donations financières, la richesse de l’ordre, ses soutiens), politiques (l’exacerbation du conflit entre la papauté et les rois, entre l’autorité de l’Église et celle des princes), religieux (l’ordre comme milice au service de la papauté, les vœux de pauvreté, de frugalité), esthétiques (sobriété de l’art templier qui, à l’instar de l’art cistercien, préconise l’austérité, l’absence de richesse, d’ornement). Pour saisir les spécificités de cet ordre qui ne cessa de fasciner, de stupéfier, Arnaud de la Croix recourt à des angles d’approche novateurs, recourt à lecture de Perceval ou le conte du Graal de Chrétien de Troyes, fait un sort à la légende d’une complicité entre cathares et Templiers, analyse le désintéressement progressif des souverains occidentaux face à la présence de Francs en Terre sainte, au Moyen-Orient.
La défaite lors du siège de Saint-Jean-d’Acre en 1291 signe la perte de la Terre sainte, laquelle préfigure la fin des Templiers. L’essai agence un faisceau de pistes interprétatives permettant de saisir les raisons de la chute de l’ordre, de sa dissolution par une bulle papale édictée par Clément V en 1312. Il descend dans les minutes du procès pour hérésie (les Templiers abjureraient le Christ) et décortique les mécanismes qui ont abouti à la condamnation au bûcher de quatre dignitaires du Temple. L’ordre aura été victime des antagonismes entre le pouvoir de l’Église, de la papauté qu’il servait et l’autorité des rois qui commençaient à voir d’un mauvais œil cette organisation concurrente.
La question se pose en ces termes : un monarque au sens non plus féodal, mais déjà « moderne », ayant la volonté d’exercer un pouvoir souverain peut-il encore accepter que, sur le territoire qu’il gouverne, une milice armée, puissante et riche, aux ordres du seul pape, exerce une forme de pouvoir concurrente au sien ?
La fin tragique des Templiers est scellée et donnera lieu à de folles spéculations, des légendes extravagantes dont celle du fabuleux trésor des Templiers que d’aucuns recherchent encore.
Véronique Bergen