Une entrée dans la vie de famille d’André Franquin

André FRANQUIN, Bon pour…, Dessins de famille, CFC, Coll. « 7-107 », 2022, 116 p., 21 €, ISBN : 9782875720818

franquin bon pour... dessins de familleLe Bon pour… Qui n’a jamais eu recours à ce substitut de cadeau ? Dans l’impossibilité d’offrir le présent au moment attendu, on rédige sur un papier un Bon pour… accompagné d’argent ou d’une promesse de livraison ou de prestation. Le tout est glissé dans une enveloppe que l’on remet au bénéficiaire. Le Bon pour… est un ancêtre artisanal du Bongo.

André Franquin avait peu de temps pour courir les magasins, ou peut-être n’aimait-il pas s’y rendre. Aussi recourait-il  abondamment à des Bons pour… à l’attention de ses proches, surtout sa fille Isabelle et son épouse Liliane. Il en avait même fait une tradition familiale.

Isabelle Franquin a conservé soigneusement les Bons pour…

25 ans après le décès de son père, elle a décidé de les partager pour la première fois avec le public et de les faire découvrir en tant que composante à part entière de l’œuvre. Quelque 70 dessins qui figuraient sur des cartes et des enveloppes ont été reproduits dans un album.

Les Bons pour… étaient soigneusement confectionnés avec un dessin original, en lien avec le cadeau promis. Certains dessins sont si sophistiqués que l’on peut penser que Franquin souhaitait à tout prix se racheter d’un oubli fâcheux : une date d’anniversaire ou une Saint-Valentin.

Ces documents font entrer le lecteur dans la famille Franquin. Les cadeaux associés n’ont rien d’extravagants et sont en phase avec leur époque. Le dessinateur offre des manteaux, des sacs, un meuble-coiffeuse, une radio, en laissant certainement une liberté à la bénéficiaire de choisir le modèle, sans risque d’erreur de sa part. Parfois il offre simplement ses vœux et ceux de sa fille à son épouse pour une fête des mères avec des cœurs ou de jolis bouquets de fleurs. Quelques autres membres de la famille sont aussi les heureux bénéficiaires de l’attention de Franquin. Le Bon pour… avait certainement bien plus de valeur que l’objet ou le service auquel il se rapportait. 

Ce recueil de Bons pour… constitue un témoignage de l’évolution de la société et de ce qui s’offrait habituellement. Les années 1950 sont celles des manteaux et des toques en fourrure, Les années 1960 et 70 celles des cardigans, des foulards, et des pulls Shetland. Cette époque qui voit aussi Franquin offrir à sa grande fille un équipement domestique particulier : un nouveau chauffe-eau, dessiné ici avec une calandre de Rolls-Royce, on le verrait bien sorti tout droit d’un album de Gaston.

franquin bon pour

Pages intérieures de « Bon pour… »

Les Bons pour…  montrent aussi l’évolution du style d’André Franquin.  Des premiers dessins des années 1950 proches de l’esthétique publicitaire, on passe peu à peu à des œuvres beaucoup plus construites, denses, montrant un recours accru au noir et blanc. Après le pinceau et la plume, Franquin était devenu un adepte du Rotring, stylo à l’encre de chine qui lui permettait une finesse des traits inégalée. La précision de ses dessins devient extrême. Le recueil n’hésite d’ailleurs pas à en reproduire des détails agrandis, sans que la qualité ne s’en ressente. 

µA l’exception du recours à des vocables familiaux (Franquin et son épouse sont respectivement surnommés « Ramonet » et « Ramonette »), la personne privée du dessinateur telle qu’elle transparaît dans les dessins n’apparaît pas très différente de celle de l’homme public. On y trouve un humour de bon aloi, de la fantaisie, du respect, de l’affection, et une dose de fantastique. La démarche de Franquin est fraîche, sincère. Elle est aussi émouvante, quand il se dessine, épuisé à côté d’une table à dessin encombrée, offrant tous ses vœux à son épouse. Sans doute devait-il se faire pardonner de ne pas être assez présent.
Le travail édité se veut aussi un inventaire. Chaque dessin est daté, son format est précisé, ainsi que la technique utilisée : plume, pinceau, crayon, Rotring… Le livre se complète aussi de quelques dessins figurant sur des cartes et menus.

Cet album est édité par les éditions Bruxelloises CFC dans un format de 17 x 21 cm, qui correspond très bien à la taille des œuvres éditées.

Bruno Merckx

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