Battements d’ailes

Un coup de cœur du Carnet

Nathalie STALMANS, D’or et de grenat, Samsa, 2022, 226 p., 20 €, ISBN : 978-2-87593-422-2

stalmans d'or et de grenatDe la suite dans les idées ! Le Carnet avait naguère attribué un coup de cœur à Si j’avais des ailes, consacré au séjour bruxellois des sœurs Brontë. Trois ans plus tard, l’autrice-historienne Nathalie Stalmans nous revient avec des insectes ailés, des abeilles, comme héroïnes. On ne plonge pas dans une ruche, il est question de bijoux, d’abeilles « d’or et de grenat » jointes au trésor funéraire du roi Childéric, fils du légendaire Mérovée et père de Clovis. L’histoire d’un trésor ? Oui, de son origine à sa dilution, au fil des mois, des années et des siècles, des pérégrinations et de la prédation.

Un roman ?

Les 14 textes, connectés par les abeilles, ne sont pas les chapitres d’un récit centripète mais des éléments relativement autonomes, charriant la saisie sur le vif d’une époque, d’un lieu, d’une tranche de vie. Des nouvelles ? Oui et non. Car plusieurs prolongent un même élan narratif. Le premier texte se passe en 481 mais les huit suivants s’échelonnent entre 1653 et 1666, le dixième se déroule en 1717, deux autres en 1804, les deux derniers en 1831/1833.

Un livre plaisant et intéressant

Nathalie Stalmans, loin du cliché de l’historienne perdue en littérature, ne déploie pas une érudition aride mais une écriture fluide et belle, une narration enjouée. On entre illico dans le projet, propulsé par un premier récit emballant.

Au commencement, il y a Childéric…

Ou plutôt Basine, sa reine, et Geneviève, la sainte fameuse, qui s’arriment à des projets de société antagonistes :

Cette sorcière avait appelé le roi à la christianisation. Sa religion prônait l’égalité entre les hommes et la fin de l’esclavage. Il était question de solidarité, de paix, de pardon. 

Le récit nous précipite dans les cogitations de la reine, qui voit saper les fondations brutales de la puissance franque. Que lui impose son sens politique ? Se débarrasser de Geneviève… ou de son époux ?

Au premier niveau, un beau portrait, celui d’une femme déchirée par le doute, un moment de bascule dans l’Histoire européenne et un suspense. Mais, derrière, se faufilent des échos troublants des temps actuels : aux quatre coins de la planète se creusent des abîmes entre les partisans d’un monde ouvert et les défenseurs d’un monde fermé.

Ah, Basine rime avec Poutine…

… et Tournai !

Le rappel est pertinent. Tournai est la première capitale de Clovis, le fils de Basine, avant que des considérations stratégiques ne le déplacent vers le sud. Elle aurait pu être mythifiée comme berceau de la monarchie française si sa belgité ne l’avait écartée, ce qui renvoie à l’arbitraire de nos récits fondateurs, aux oubliettes dans lesquelles croupissent des mannes de faits situés hors des théories et des propagandes.

Mais l’Histoire s’apparente à une folle sarabande…

…ou au vol de nos abeilles ?

Les treize récits suivants vont narrer les aventures du trésor et de leurs représentantes les plus emblématiques. Depuis l’exhumation fortuite de 1653 jusqu’au vol des dernières reliques en 1831, en passant par le meurtre, Bruxelles, Vienne ou Paris. En croisant les Ottomans, Pierre le Grand ou Vidocq.

Quel bonheur, pour un adorateur de Clio, de se balader dans des tableaux variés et animés, en revisitant la grande et la petite histoires d’un pas alerte ! Mais on se frotte, tout autant, à des destins individuels saisis à un point d’acmé de leurs trajectoires. Avec ce plaisir supplémentaire de voir des personnages réapparaître d’un texte à l’autre, prolongeant leur esquisse ou lui apportant un contrepoint.

L’art de l’écrivaine

En sus de son expertise de conteuse, de pédagogue et d’historienne, Nathalie Stalmans manifeste un talent littéraire. Et ce sont des saillies poétiques :

Il rêvait d’un sourire. Un seul mais un vrai. Un sourire empreint de complicité et d’estime. Il le conserverait ensuite à l’abri dans sa mémoire. Il ne le sortirait que rarement pour ne pas l’abîmer. 

Des saillies analytiques aussi :

Une petite voix intérieure démonte et reconstruit sans cesse le cours de notre existence, interprète et justifie ses actes a posteriori. 

Qui charrient une remise en question des clichés. Ainsi, on se confrontera à un monde musulman plus ouvert et tolérant que son alter ego occidental. Ou on épuisera le thème du « bon vieux temps » en traversant bûchers, viols, guerres, abandon des orphelins, conditions sanitaires atroces et puanteur, règne absolu de la force et de l’arbitraire, etc.

En conclusion

D’or et de grenat offre à Nathalie Stalmans un deuxième coup de cœur du Carnet !

Philippe Remy-Wilkin

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