Vide papier

Laurence SKIVÉE, Le laveur de vitre, Lettre volée, 2022, 192 p., 21 €, ISBN : 9782873176044

skivee le laveur de vitresDans Le laveur de vitres, bref récit publié aux éditions de La lettre volée, Laurence Skivée décrit à grand renfort de silences et de blancs sur la page une expérience du deuil et du dire, le texte ne dévoilant ses vérités qu’au travers de l’idylle muette et platonique entre la narratrice et un jeune laveur de vitres.

À l’âge de quarante ans, la narratrice, artiste confidentielle et maniaque par éducation, se livre à la lenteur et à la paresse. Pour l’y aider, elle choisit de recourir aux services d’un jeune laveur de vitres. Quoiqu’ignorant tout de lui, jusqu’à son prénom, elle s’en éprend sagement, prudemment, à distance :

Sa présence m’éclaire. Comme si je savais, par expérience peut-être, que ce qui est en train de se former est le commencement de la fin, parce que jamais je ne pourrai supporter plus de quelques instants, plus de quelques secondes, l’intensité de ce qui s’annonce, bien que rien encore ne soit révélé, sinon, peut-être, tout au plus, un signe prémonitoire.

Dans un quotidien fait de solitude et de lutte contre la poussière, cet homme trouve sa place. Il est une présence douce, éphémère et familière – il rappelle à la narratrice son père et sa sœur dont le lecteur apprendra rapidement et allusivement qu’ils sont décédés. Le laveur de vitre est sûr de lui, de ses choix et de sa simplicité. Bien plus, en miroir de la narratrice, lui aussi habite la solitude, mais avec sérénité :

Je sens qu’il est ce qu’il veut. Il aime l’amer de la solitude. C’est elle qui nous relie.

L’intrigue amoureuse à peine esquissée qui donne son titre au récit n’est pourtant qu’un prétexte. Laurence Skivée en dénoue rapidement les nœuds pour s’attaquer à ce qui apparait être le véritable sujet du livre : l’écriture et la libération par l’écriture. En effet, l’écriture, comme le chiffon qui entraine la main de la narratrice est un outil de nettoyage du monde et de la pensée :

Mon travail m’absorbe.
Les mains libres. J’écris. Je dessine. Je photographie. Comme souvent. Je range le désordre. Je vérifie. Comme toujours.

Toujours sue par le lecteur, la propension de la narratrice à se livrer au travers de l’écriture explose dès l’instant où se brise l’intrigue amoureuse, sortant la narratrice de ses habitudes et de son quotidien pour la mettre face à ses manques et à ses absents. Les morts qui parsèment sa vie se réveillent du long sommeil où elle les avait plongés. La voilà libre de s’investir dans un processus d’acceptation et de réparation. C’est ainsi qu’elle écrit accompagnée de ses morts et, paradoxalement, parvient à les tenir à distance.

Traitée en profondeur et avec subtilité, la thématique du deuil se nourrit des longs silences que l’autrice laisse sur chaque page. Les mots filent, laconiques, abrupts et télégraphiques, sans prendre le temps d’habiller le papier. Bien que nu, ce dernier traduit une pudeur de la narratrice à se livrer et la froideur du monde dans lequel elle évolue.

Camille Tonelli

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