Archives par étiquette : Laurence Skivée

Une langue-fauve

Tristan SAUTIER (poèmes), Laurence SKIVÉE (dessins), Engorgements, dégorgements (3 suites), Bleu d’encre, 2023, 40 p., 12 €, ISBN : 978-2-930725-65-9

sautier skivee engorgements degorgementsComment dégorger une langue engorgée, comment acérer le dessin, comment vivre-écrire-dessiner sur un fil ? Le dialogue entre les imaginaires de Tristan Sautier (poèmes) et de Laurence Skivée (dessins) délivre un chant rythmé en trois suites où le verbe cherche les zones où s’ébattent les loups. Au visage d’une société qui égorge celle et ceux qui ne rentrent pas dans le rang, Tristan Sautier lance ses meutes de poèmes rock, en frère de Harry Haller, le loup des steppes de Hermann Hesse. Le principe d’économie qui enserre ce recueil, ce livre d’artiste relève d’un principe plus haut, celui de la survie. Une survie en milieu hostile, traduite dans une langue ramassée, aiguisée qui creuse les infra-zones de l’existence, le goût de blues et les parfums du sexe. Continuer la lecture

Habiter l’imperceptible

Laurence SKIVEE, os cuillère, Préface de Tristan Sautier, La Lettre volée, 2024, 56 p., 14 €, ISBN : 9782873176211

skivee os cuillereIncarner le désincarné, laisser la présence en pointillé, sur la pointe de la venue et de la partance, tracer des mots qui interrogent le lien entre un « je » et un « tu » abandonnés à leur indéfinition… dans os cuillère, son dernier recueil poétique préfacé par Tristan Sautier, la poétesse et plasticienne Laurence Skivée s’aventure sous la ligne des vocables, là où le plein de l’os et le creux de la cuillère offrent l’image d’une rencontre possible entre soi et l’autre, soi et soi. La disposition graphique des vers matérialise l’impossible rêve de toucher l’autre et l’amorce d’un dialogue par-delà les solitudes. Continuer la lecture

Rentrée littéraire 2023 : abondance et diversité

rentrée littéraire 2023

Le rituel est connu : chaque année en juin, les maisons d’édition dévoilent le programme de leur rentrée littéraire. Et lectrices et lecteurs de partir en vacances avec la certitude de trouver en librairie, dès la mi-août, pléthore de nouveaux livres qui adouciront à n’en point douter le retour à la vie professionnelle.

Cette année encore, auteurs et autrices belges seront nombreux à participer à ce temps fort de l’année éditoriale. La rentrée littéraire est traditionnellement associée au roman. Il ne sera pas, loin s’en faut, le seul genre à faire l’actualité cet automne, mais il en sera certainement l’un des points névralgiques. Tour d’horizon des sorties annoncées. Continuer la lecture

Vide papier

Laurence SKIVÉE, Le laveur de vitre, Lettre volée, 2022, 192 p., 21 €, ISBN : 9782873176044

skivee le laveur de vitresDans Le laveur de vitres, bref récit publié aux éditions de La lettre volée, Laurence Skivée décrit à grand renfort de silences et de blancs sur la page une expérience du deuil et du dire, le texte ne dévoilant ses vérités qu’au travers de l’idylle muette et platonique entre la narratrice et un jeune laveur de vitres.

À l’âge de quarante ans, la narratrice, artiste confidentielle et maniaque par éducation, se livre à la lenteur et à la paresse. Pour l’y aider, elle choisit de recourir aux services d’un jeune laveur de vitres. Quoiqu’ignorant tout de lui, jusqu’à son prénom, elle s’en éprend sagement, prudemment, à distance : Continuer la lecture

Laurence Skivée, l’usage météorologique du langage

Laurence SKIVÉE, L’air est différent, La Lettre volée, 2018, 101 p., 17 €, ISBN : 978-2-87317-507-8

skivee_l air est differentArtiste plasticienne, Laurence Skivée interroge la vie par le dessin, par la photographie, la sculpture, la vidéo au fil d’une attention à ce qui se dérobe, dans une ouverture aux interstices de l’existence. Nul étonnement à voir sa poétique des instants dérobés, sa descente plastique dans les mondes de l’enfance en venir à la forme poétique, gagner le territoire mouvant du verbe. Après le livre d’artiste Je m’emballe (La Lettre volée, 2013), L’air est différent sécrète une écriture-regard acquise au recueillement d’instantanés de l’existence. C’est la mort de proches qui l’a poussée à s’emparer de ce nouveau médium. D’emblée, le texte tisse un lien en intériorité entre expérience de la perte et éclosion du verbe. Comme la photographie, le mot est chargé d’une valence testimoniale, fait pièce à l’oubli, officie un travail de deuil. La forme est celle d’un mouvement en suspens, d’une nuée d’haïkus qui, privilégiant un principe d’économie, entend suggérer la présence au travers de l’absence. Captures de fragments sensitifs, émotifs d’une vie, désubjectivation des personnages pris dans une épure voisine de celle de Beckett, mise en voix d’une tragédie traitée sur le mode minimaliste du « less is more », L’air est différent tournoie autour de moments minuscules, des frôlements imperceptibles de corps qui dansent « sur Fontaine et Trenet ». « Bientôt l’un de nous mourut. N’étaient restées que les cendres » (…) « Nous éparpillâmes tes cendres à Ostende / et le monde partit sur tes traces. / Anonyme Amour ». Continuer la lecture

Le chant ininterrompu de Werner

Werner LAMBERSY, dessins de Laurence Skivée, Ball-trap, suivi de Je me suis fait un non, L’âne qui butine, 2017, 106 p., 22 €, ISBN : 978-2-919712-14-4 ; Hommage à Calder, Ed. Rhubarbe, 2017, 81 p., 8€, ISBN : 978-2-374750-16-3 ; Ici l’ombre (journal de résistance), Cygne, 2017, 50 p., 10€, ISBN : 978-2-84924-486-9

lambersy hommage a calderOn pourrait dire de Werner Lambersy que c’est un polygraphe et ce serait extrêmement réducteur. Ajouter peut-être qu’il est virtuose mais ça ne suffirait pas encore. Aussi à l’aise dans la forme courte, le haïku, l’aphorisme, que dans le poème long, Werner nous surprend à chaque nouvelle publication. Car c’est bien à l’ensemble d’une œuvre importante et protéiforme qu’il convient de rattacher ces recueils qui paraissent simultanément. Il n’est donc pas étonnant de trouver parmi les trois phrases d’exergue qui ouvrent son Hommage à Calder, celle de l’écrivain portugais Antonio Lobo Antunes : « Il faut sans cesse trouver une autre façon d’écrire pour exprimer ce qu’on veut vraiment dire ». Ce à quoi s’attelle Werner dans une œuvre où chaque nouvel opus vient consolider encore un peu plus l’édifice dont l’une des premières pierres fut posée avec Maîtres et maisons de thé dès 1979. Continuer la lecture