Un coup de cœur du Carnet
Geneviève DAMAS, Perfect Day, Lansman, 2022, 52 p., 11 €, ISBN : 9782807103658
À travers ce monologue, écrit pour l’actrice Hélène Theunissen, nous suivons le quotidien de Marie Couturier, une sexagénaire célibataire qui doute beaucoup et n’aime pas voir son corps vieillir. Ce corps, qu’elle n’aimait déjà pas dans sa jeunesse et qu’elle aurait dû pourtant aimer, n’est aujourd’hui plus que l’ombre de ce corps passé avec ses bras fripés, ses rides, ses pattes d’oie, ses dents que l’on bichonne pour qu’elles ne se déchaussent pas, ses quelques poils blancs sur le pubis, sa cellulite, les contours du visage qui s’affaissent, ses chevilles qui s’épaississent… Marie voit la vieillesse comme une guerre, un bombardement sans fin. Ce qu’elle craint le plus, c’est de ne plus jamais faire l’amour. Peut-être a-t-elle déjà vécu sa dernière fois ? Sera-t-elle encore objet de désir et de fantasme ? La vieillesse ne peut-elle pas aussi être le champ de tous les possibles ?
Sa place de femme s’est amenuisée au fil du temps. Elle se consacre à son métier – elle est « nez » dans une petite maison de parfum, Déborah D’Or –, mais aussi à sa mère dont la mémoire est de plus en plus fuyante, à sa fille qui a une relation avec un homme bien plus âgé qu’elle, au père de sa fille dont elle est séparée mais non divorcée, et à Alexis, un jeune et séduisant collègue qui semble si inaccessible. C’est avec lui qu’elle doit créer un dernier parfum avant son départ à la retraite. Un parfum pour les femmes de quarante ans dont elle saura, selon les dires de sa directrice, trouver l’audace et la liberté.
Le cycle de la vie est répété à plusieurs reprises dans le texte, tel une ritournelle :
La vie, ce sont des cycles
tu nais l’enfant de tes parents
tu deviens la mère de tes enfants
après la mère de tes parents
puis l’enfant de tes enfants
et tu meurs.
Elle en est au quatrième stade : « la mère de ses parents ». Le cinquième tour est-il bientôt venu ?
Avec Perfect Day, Geneviève Damas offre un texte émouvant, clairvoyant, parsemé de délicates touches d’humour. Elle voulait parler des femmes de soixante ans et plus qui sont le plus souvent cantonnées à leur rôle de mère et exclues du champ du désir. Le regard que pose la narratrice sur son corps et sur les effets liés à l’âge peut être dur, mais est réaliste et bienveillant malgré tout. Les passages consacrés à la dégénérescence de la mère, ainsi que, et surtout, à l’amour d’une fille, sont poignants, d’une tendresse infinie. Le cerveau de la vieille femme « se troue et se transforme en serpillière ». Elle ressemble de plus en plus à une enfant, mais son sourire reste imperturbable quand ses yeux se posent sur sa fille.
Tout au long de la pièce, deux fils rouges se superposent. Il y a les odeurs qui nous accompagnent et nous enveloppent : les parfums liés à l’enfance tels que l’eau de Cologne, l’odeur du café si rassurante, les effluves moins agréables liés à la décrépitude des corps, l’odeur du parfum de celui que l’on désire… Il y a aussi les anecdotes liées à Darwin qui, comme Marie, vient d’une famille de six enfants. Lui qui, malgré ses théories sur la sélection naturelle, a négligé sa descendance en choisissant une femme, de son sang, plus âgée que lui.
Le spectacle, dont le texte est édité aux éditions Lansman, a été créé en novembre 2022 au Vilar à Louvain-la-Neuve.
Émilie Gäbele