François Jacqmin en ses premiers états

François JACQMIN, Œuvres complètes 1. L’amour la terre, 1946-1956, édition critique et génétique établie par Gérald Purnelle, AML Editions, coll. « Archives du Futur », 2022, 344 p., 28 €, ISBN : 978-2-87168-091-8

jacqmin oeuvres completes 1Il y a un peu plus de trois décennies, le 13 février 1992, s’éteignait François Jacqmin, essentiellement reconnu de son vivant pour quelques discrets mais éblouissants recueils poétiques, tels Les saisons (Phantomas, 1979) et Le livre de la neige (La Différence, 1990, tous deux réédités en Espace Nord en 2016). Si la reconnaissance critique et publique fut tardive, on le doit en partie à l’écrivain lui-même. L’œuvre poétique de Jacqmin, l’un des « Sept types en or » réunis en 1953 par l’amitié au sein de la revue Phantomas de Théodore Koenig et Joseph Noiret, était en apparence relativement peu abondante. Lui-même, volontairement, ne livrait qu’avec parcimonie ses textes, alors même qu’il était de notoriété publique à cette époque que l’écriture, celle de poèmes en prose, de réflexions sur le langage et le silence, la métaphysique de l’être, les relations entre l’humain et la nature… emplissait une grande partie de ses jours et de ses nuits.

Une volontaire retenue personnelle, qu’il attribuait lui-même à son enfance passée en Angleterre, et, en matière littéraire, inscrite dans une autre langue que le français, ainsi qu’une nette tendance de ne pas vouloir participer pleinement à ce qu’il abhorrait – en résumé ce qu’on appelle « la vie littéraire » –, ont joué leur part dans cet effacement de soi. Ainsi prenait-il congé du lecteur (et plus encore de lui-même) dans le dernier poème du Livre de la neige :

On n’est point fâché de se voir disparaître.
Il ne nous plaît pas d’avoir été jeté
Dans la fausse singularité de l’individu.
Le moi, c’est la claque de notre conscience !

Cependant, depuis la disparition de l’auteur de La rose de décembre – son premier recueil paru à l’enseigne de Phantomas, 1959, alors qu’il est présent dans le groupe dès 1953 –, grâce au dépôt d’un imposant fonds de manuscrits effectué par la famille Jacqmin aux Archives & Musée de la Littérature, et à l’inventaire méticuleux qui en est progressivement établi, notamment par Catherine Daems, Frans De Haes, Gérald Purnelle, plusieurs recueils posthumes ont été édités. Le blog du Carnet & les Instants s’en est fait régulièrement l’écho. Certains ensembles reconstitués, ou parfois quasiment prêts pour une édition, ont ainsi vu le jour, permettant d’approfondir la connaissance de l’œuvre, et de découvrir la persistance chez Jacqmin d’un faisceau d’interrogations, qui traverse les épreuves et le temps.  

C’est à cette exploration d’un continent (sciemment englouti par son créateur, même s’il ne l’a pas fait disparaître) que se livre Gérald Purnelle, en publiant dans la collection patrimoniale Archives du Futur des AML, un premier volume de textes majoritairement inédits de Jacqmin, constitué entre les années 1946 (de premiers poèmes écrits en anglais, il a 19 ans) et 1956. Au total, quelque 340 pages de poèmes en des états divers, dont un tiers se compose d’un appareil critique et génétique où Gérald Purnelle étudie, poème après poème, ligne par ligne, les variantes, modifications, suppressions, ajouts… Cette partie de l’ouvrage, intéressante pour les chercheurs universitaires, permettra à ceux-ci d’envisager l’écriture de Jacqmin dans toute sa complexité, avec ses évolutions, ses recherches, ses diversités, ses contradictions, ses hésitations, nombreuses, voire ses doutes, très vite, sur la pertinence de se livrer à l’acte d’écrire. Même dans un poème de circonstance (la mort de Paul Eluard, poète admiré), Jacqmin peut écrire sans candeur feinte :

ma voix manque d’ampleur
mes doigts cherchent vainement l’accord.

Mais on peut également découvrir ça et là plusieurs signes de pistes, comme par exemple des poèmes sur certains types de fleurs, ou un bref poème en vers libre de 1956 consacré au coquelicot, qui trouve un plus complet aboutissement dans le recueil Le coquelicot de Grétry, publié en 1978 chez Phantomas. Enfin, dans ce vaste ensemble, on retiendra la réédition du premier et modeste recueil de Jacqmin, paru en 1954, L’amour la terre. Dix poèmes ornés de dessins par son complice d’alors, le peintre abstrait Léopold Plomteux (1920-2008) et qu’on aurait aimé voir reproduits ici : l’écriture, chez Jacqmin, fut très souvent accompagnée par les créations plastiques de ses amis.

Alain Delaunois

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