La neige, sans contrefaçon

François JACQMIN, Le livre de la neige, postface de Gérald Purnelle, Impressions nouvelles, coll. « Espace Nord », 2016, 152 p., 8 €

jacqmin le livre de la neigeLa collection « Espace Nord » a l’excellente idée de remettre à la disposition des lecteurs deux ouvrages majeurs du poète François Jacqmin (1929-1992) : Les Saisons, initialement paru dans la collection du vivant de l’auteur, en 1988 ; et Le Livre de la neige, dernier recueil de poèmes en prose publié aux Editions de la Différence par Jacqmin, avant son décès en 1992. Deux recueils, qui ne sont que l’arbre finement taillé cachant la forêt d’écrits qu’a laissés le poète – vingt caisses de manuscrits déposés aux Archives et Musée de la Littérature –, parmi lesquels ont déjà été extraits des recueils sensiblement achevés, comme nous l’évoquions l’an dernier à propos du Plumier du vent.

Le Livre de la neige occupe un statut particulier dans la reconnaissance critique de François Jacqmin, puisqu’il reçut successivement, en février 1991, le prix Max Jacob à Paris, le prix Emmanuel Vossaert de l’Académie royale de langue et littérature, ainsi que le Grand prix quinquennal de littérature de la Communauté française de Belgique. Un couronnement sans égal, pour l’un des « Sept types en or » de la revue Phantomas, très soucieux de discrétion, et qu’il reçut à l’époque avec modestie et humour : trois prix pour un seul livre, sans doute certains jurés ne s’étaient-ils pas tout à fait trompés sur la qualité de l’œuvre… même si l’auteur lui-même pouvait en douter.

Le Livre de la neige se compose de plusieurs dizaines de poèmes en prose, tous d’une longueur quasiment égale, qui, articulés autour du thème de la blancheur hivernale, construisent peu à peu une sorte de précis syntaxique. Une grammaire toute personnelle, où, en dix lignes courtes, parfois lapidaires, les éléments du cycle naturel servent de point de départ à une réflexion métaphysique. La portée morale (mais nullement moralisatrice) de cette réflexion conduit le lecteur à s’interroger, avec Jacqmin, sur le sens de l’existence, et sur « ce perpétuel impossible qui fait apparaître tout projet comme une souillure ».

Cette méditation qui envahit l’auteur le conduit à remettre en question toutes les certitudes, y compris celle de ce livre que le lecteur tient en mains : « Quelle que soit sa grandeur, la vérité qui vient d’un livre est une abomination ».

En quelques phrases épurées, d’une simplicité étourdissante, Jacqmin dénoue le fil de l’existence, la renvoyant au silence intérieur, à la blancheur éblouissante du néant, là où tout s’efface, mais où rien n’est résolu. La neige transparente révèle l’opacité du monde, mais un scepticisme aguerri peut se troubler devant une clairière enveloppée de blanc. La neige serait-elle mer de la sérénité, pour le promeneur désemparé ? Rien n’est moins sûr. Mais…

Dans la vocifération blanche
d’une tempête
on distingue quelquefois un flocon méritant.
[…]
Hormis le poème,
il n’est rien qui puisse aller à sa rencontre.

Pierre Malherbe

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