Vinciane MOESCHLER, Accordez-moi la parole, Mercure de France, 2023, 202 p., 19,80 € / ePub : 13,99 €, ISBN : 978-2-7152-6117-4
Salomé. Raphaëlle. L’écrivaine. La détenue. Deux femmes. Deux mères. L’une cherche encore ses marques dans ce rôle. L’autre a irrémédiablement fait valser tous les repères. Transgressé l’interdit. Commis l’irréparable. L’insoutenable. L’indicible. Pourtant, elle voudrait le raconter. Le faire raconter. Confier son histoire aux mots d’une autre.
Elle semblait insinuer qu’un écrivain arriverait à déposer les mots.
Ces mots tremblants qui n’étaient pas à sa portée.
Ces mots justes et indicibles allaient non pas justifier, mais soutenir son histoire.
Sa vérité serait prise en charge.
C’est à Salomé que Raphaëlle choisit de se livrer. Et l’autrice accepte de la rencontrer, sans trop savoir où elle met les pieds.
On ne peut pas dire que la romancière soit excitée à l’idée de rentrer dans le livre.
Elle sait que ce sera celui du drame et du silence.
Comment raconter des vérités mais jamais la vérité ?
Qui détient la vérité d’un crime ?
L’objectivité n’existe pas.
Elle cherche encore la frontière.
Entre le sens et le non-sens.
Entre la normalité et la violation du sacrilège.
Entre le réel et l’imaginaire.
La tâche est malaisée. La mission périlleuse. Et les conséquences lourdes à porter. Mais Salomé ne recule pas.
Accordez-moi la parole est l’histoire d’une rencontre. Rencontre qui prend appui sur un drame, une vie détruite, sans espoir de reconstruction. Rencontre de la femme qui survit derrière l’étiquette de monstre dont elle ne cherche pas à se détacher. La mère à qui ce titre ne peut être retiré. Lucidité et conscience bien présentes là où il serait plus confortable de conclure à la folie. Confrontation avec les idéaux qu’on aurait tort de croire naturels.
Puis mise en abyme des questionnements de la romancière, qui accepte de prêter ses mots à celle dont on n’écoute pas la voix. Réflexions d’une autrice sur le positionnement à adopter. Entre vérité, témoignage et distance de sécurité à préserver pour ne pas sembler cautionner l’indéfendable.
Avec un style saccadé, minimaliste, Vinciane Moeschler s’attaque à un sujet hautement sensible, dans un dosage précis d’authenticité et de pudeur. En variant les narrateurs, elle relate les faits et expose les pensées, donnant accès aux nuances des points de vue. L’autrice réussit un formidable exercice d’équilibriste, racontant l’histoire, semant les questions, se gardant d’y apporter des réponses définitives ou d’émettre des jugements. Le roman interpelle, happe, bouscule, chamboule et se referme en continuant son chemin dans l’esprit du lecteur, forcément ébranlé.
Estelle Piraux