La présence qui soigne

Alia CARDYN, Le monde que l’on porte, Robert Laffont, 2023, 251 p., 19 € / ePub : 12,99 €, ISBN : 9782221262832

cardyn le monde que l'on porteLe nouveau roman d’Alia Cardyn nous fait découvrir le destin de deux héroïnes issues d’une lignée de sages-femmes. Dans cette famille, toutes les filles portent le même prénom, Rosa, et se voient attribuer la même mission dès leur naissance. Ce réseau de femmes fortes forme un tout indissociable où un peu de chacune se retrouve dans les autres, une tribu qui devient presque un être vivant à part entière.

Parce que j’ai dix-huit ans, je préside notre tablée féminine, composée de la famille élargie. Ma mère, mes cousines, ma sœur, mes tantes, ma grand-mère, mes grands-tantes. Chaque étape de la vie nous réunit. Les anniversaires, les mariages comme les divorces, les naissances aussi. Nous les célébrons avec les hommes, puis, pour une raison obscure, nous renouvelons la fête entre nous. Loin d’eux, l’atmosphère est différente. Les femmes franchissent le seuil, dotées d’une liberté nouvelle. Elles se détendent, révèlent des traits de personnalité qu’elles dissimulent en la présence de leurs compagnons. Ça parle plus fort, ça rit, ça pleure parfois.

Nous découvrons l’histoire de cette famille peu commune à travers le regard de la cadette, Ella, une institutrice de 25 ans qui a osé décider d’exercer un autre métier que celui des Rosas. Touchée par des malaises fréquents et inexpliqués suivis d’une chute, elle prend conscience que derrière son respect rigoureux du programme scolaire se cache un désir enfoui qui peine à s’exprimer. Lorsque ses élèves lui confient détester l’école, mais adorer apprendre, elle a un électrochoc. C’est grâce au questionnement d’une élève sur l’école démocratique qu’Ella ose explorer l’inconnu, poussée par l’enthousiasme de sa classe, et qu’elle découvre avec émerveillement la richesse de la pédagogie active.

Mes élèves m’appellent. Ce cercle m’attire, moi et mon corps qui ne tient plus. Ou qui tient mieux que jamais. Il plie, il se joue de moi, il me montre que je ne suis plus la seule à décider. Il me répète que ma place n’est pas sur cette chaise mais assise avec eux. Pour faire ce n’importe quoi qui m’effraie et m’enchante tout à la fois.

La deuxième femme dans l’intimité de laquelle nous entrons s’appelle Rose Flamme. Nous plongeons dans son passé, à un moment charnière où elle a subi un arrêt cardiaque et une hémorragie cérébrale lors de son accouchement. Dans une famille où être mère est un des événements les plus naturels qui soit, Rose doit non seulement traverser une longue convalescence pour recouvrer ses facultés langagières et motrices, mais elle doit en outre apprendre à tisser un lien fondateur dont elle a été privée avec sa fille lors de son accouchement. Les Rosas sont lumineuses, mais ne sont malheureusement pas épargnées par les épreuves de la vie.

Dans Le monde que l’on porte, nous retrouvons le style fluide d’Alia Cardyn, mais aussi son regard profondément doux et bienveillant sur la nature humaine. À travers ce récit, elle nous offre une ode à la sororité et à la transmission. Sans basculer dans les stéréotypes, elle nous montre les limites du clan, dont il est parfois difficile de se démarquer pour oser être soi, mais aussi la difficulté de la maternité lorsque le lien est malmené par la vie. Le point de vue développé est assez beau et inspirant : la chute devient initiation, l’accouchement un rite de passage, où la femme devient mère et le bébé son enfant. Alia Cardyn nous invite à palper le caractère sacré du lien, là où il a disparu subrepticement au fil du temps.

Séverine Radoux

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