Dissolutions

Laurence VIELLE, Billets d’où, Castor Astral, 2023, 199 p., 9 €, ISBN : 9791027803477

vielle billets d'oùDans Billets d’où, Laurence Vielle s’adonne, selon ce qui lui est coutumier, à une poésie entretenant des liens étroits avec la pratique de l’oralité. Elle y développe une pensée issue de la vie quotidienne, de choses vues, vécues ou ressenties, qui se décline ensuite en élans fictionnels qui tendent à la recherche de soi-même et de l’autre.

La collection « Poche/Poésie » de la maison d’édition bordelaise Le Castor Astral accueille à la perfection le climat fondamentalement intime de ces billets au titre calembour. Puisque le message d’un billet s’adresse à un destinataire (implicitement ou explicitement), un « tu », parfois un « vous », se fait souvent le réceptacle des confidences de la poétesse. Aussi bien le lecteur anonyme, qu’un familier de la poétesse ou la poétesse elle-même, il est une omniprésence qui invite à se plonger sans pudeur dans une vie que l’on questionne autant qu’elle interroge :

Comment tu fais toi comment vous faites est-ce que vous obligez à manger tout le bol est-ce que vous les mettez au lit chaque jour à la même heure
est-ce que vous lui donnez un bain chaque jour un jour sur deux un jour sur trois une fois par semaine est-ce que vous changez votre enfant tous les jours une fois tous les deux jours un jour sur trois une fois par semaine […]
 

Par ce procédé, Laurence Vielle tend à transformer le vécu individuel en expérience universelle. À plusieurs reprises dans le recueil l’individu va jusqu’à perdre ses contours et sa définition, qui ne semble de toute façon pas pouvoir s’appuyer sur des critères objectifs. Taille, apparence, nationalité, religion, genre… Rien ne suffit à délimiter un être. Le concept de soi échappe à la contrainte physique :

[…] Je suis je te le dis toutes les filles du monde et toutes les belges de rien du tout et toutes les nations passées ici avant courent en moi et tous ceux pas passés par ici courent en moi aussi j’habite la terre tu sais comme toutes les autres
et je l’habiterai en os puis en poussière d’os qui passera par poumons des vivants et je suis toutes les poussières que je respire d’avant et d’avant et d’avant et de peau blanche tu dis blanc parce que pas noir alors le noir est contenu en moi je suis toutes les couleurs que je ne suis pas voilà mais ça tu ne le dis pas laisse-moi maintenant […]

Le monde et ses frontières sont soumis à un traitement identique puisqu’il ne suffit pas de les franchir pour en être libéré (« […] trente-neuf personnes qui fuient la misère la guerre et qui croient qu’une frontière, si elle sépare, est toujours une ligne à franchir […] »). Cet état des choses, si une forme d’angoisse y est inhérente (« Je suis vêtue de silence et j’ai perdu ma trace Tu me demandes ce que je suis ? qui je suis ? […] »), s’accompagne aussi de bienveillance et de compréhension de la part du sujet poétique qui accomplit l’exploit de ne pas tomber dans la sentence fataliste et facile à l’égard de la société contemporain, de ses absurdités et de ses injustices, qui remplissent pourtant les rangs des thématiques abordées par la poétesse.

Par ailleurs, l’idée de la dissolution qui transparait dans le recueil semble être le principe qui régit l’emploi de la langue à l’intérieur du livre. La syntaxe est écartelée et les calembours faisant lentement glisser un mot vers son homophone sont multiples. Associé à d’abondantes répétitions et associations phonétiques, l’ensemble de ces traits formels fait définitivement glisser les billets de Laurence Vielle du côté de l’oralité – la poétesse invite d’ailleurs à lire ses poèmes « à haute ou basse voix ». 

Les poèmes inédits regroupés sous le titre Billets d’où sont suivis d’une seconde section, Traversée, qui réunit une sélection de poèmes publiés par d’autres éditeurs (Espace Nord, éditions de l’Ambedui et MaelstrÖm ReÉvolution). Le style oral caractéristique de la poétesse s’y retrouve pour prolonger la traversée du lecteur dans le regard juste et précis que Laurence Vielle porte sur ce qui l’entoure.

Camille Tonelli

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