Luc BABA, Plus de lumière !, Murmure des soirs, 2023, 165 p., 20 € / ePub : 12,99 €, ISBN : 978-2-930657-98-1
Luc Baba s’est glissé dans le sillage de treize auteurs et deux autrices (que l’on n’aurait pas qualifiée de la sorte de leur vivant), Mary Shelley et Emily Brontë, pour remonter à la source de leur écriture. L’écrivain belge apporte ainsi Plus de lumière ! sur leurs œuvres, mais peut-être aussi sur la sienne.
Ce livre rassemble treize textes de factures très diverses, allant du récit de voyage au dialogue quasi théâtral, en passant par la description poétique d’un moment volé au temps littéraire qui passe comme le temps en général. Ces miscellanées ont surtout le mérite de nous donner envie de découvrir ou redécouvrir ces œuvres. On se plaît aussi à penser que Luc Baba règle par ces hommages des dettes aux écrivains qui ont abreuvé sa soif de lecture et nourri sa passion pour l’écriture. Il montre aussi sa grande érudition littéraire et, inspiré par ses modèles, instille ici et là quelques réflexions philosophiques bien senties sur la vie.
Antoine de Saint-Exupéry ouvre le recueil à New-York où naît le personnage du Petit Prince, mais fait aussi écho à son passage à Cap Juby où il parvint à conquérir le respect des Maures. Avec Abraham Stoker, croisé dans la cité irlandaise de Whitby, c’est à l’émergence d’un personnage à l’opposé du Petit Prince que nous assistons. Derrière l’évocation de Dracula, c’est la question de l’éternité qui est esquissée.
Évoquant Jean Giono, Luc Baba nous invite dans « la petite usine de sa tête », imagine comment « une écriture inconnue » naît de la marche, de l’amitié, des paysages provençaux.
Autre lieu, autre temps : c’est la traversée de la Manche par Lord Byron avec son médecin, puis la descente du Rhin jusqu’en Suisse où le poète qui « ne trouverait jamais rien de plus noble que l’écriture pour déjouer le malheur et se sentir vivant, digne et libre » rencontre Mary Shelley.
Luc Baba montre une étonnante capacité à se glisser d’une plume dans l’autre, d’une relation au monde à une autre. Cela se vérifie à nouveau quand il rejoint Ernest Hemingway à Pampelune, dans la forêt d’Iraty.
Il convie également deux noms illustres comme Robert Louis Stevenson et Mark Twain pour les faire dialoguer sur la mort, la vie dans les villes, l’Amérique, ses émigrés européens, les phares, les histoires d’orphelins. C’est profond souvent, jamais mièvre.
L’esprit, voire l’écriture, d’Emily Brontë infuse dans le texte de Baba quand il décrit l’autrice accompagnée de son frère, sa sœur, une nurse au cœur d’une tempête au milieu de la lande, sorte de prolégomène aux Hauts de Hurlevent.
Tableau étrange que celui qui met Tatiana Tolstoï, deuxième enfant et fille aînée du grand écrivain russe, elle-même femme de lettres, en présence d’un vieillard inconnu sur les terres qui entourent la propriété familiale d’Iasnaïa Poliana et qui figure parmi les personnages de son roman Résurrection. Leur échange, peu après la mort du génie littéraire russe, tourne autour d’un bâton de bois vert, réminiscence d’un souvenir de Tolstoï enfant avec ses frères. Il est surtout l’occasion de glisser l’une ou l’autre allusions à ses tourments intérieurs. Ce faisant, Luc Baba propose une forme d’exégèse en quelques lignes d’une œuvre monumentale. Le texte suivant se présente sous la forme d’une lettre de Jules Verne sur son bateau amarré au Pont des Arts à George Sand à qui il confie être un enfant de la mer.
En Amérique, en Russie, en France, ces textes qui peuvent se lire comme des nouvelles, dressent un large pan de la littérature mondiale et nous mettent encore en présence du Danois Hans Christian Andersen quelque peu moqué, du Britannique Rudyard Kipling à travers son journal de bord d’une traversée océanique, malade, avec sa famille ou plutôt de son journal intime où il se souvient de sa fille décédée, surnommée mowgli, sa petite grenouille en hindi, de l’Espagnol Miguel de Cervantes en sa jeunesse militaire lors de la bataille navale de Lépante, ou encore de l’Allemand Goethe sur son lit de mort à Weimar qui, désespéré par le progrès, en appelle à « Plus de lumière ! ».
Le plus étonnant dans ces textes, c’est cette capacité de Luc Baba à donner la parole à des auteurs d’un autre temps saisis dans un moment fondateur de leur travail créatif, de leur existence, souvent en lien avec la nostalgie de l’enfance ou le décalage offert par un voyage.
Michel Torrekens