Bruxelles au fil des écrivains

Paul ARON, Laurence BROGNIEZ, Solbosch, Éditions de l’université de Bruxelles, coll. « Guides littéraires de Bruxelles », 2022, 84 p., 12 €, ISBN : 9782800418070
Paul ARON, Laurence BROGNIEZ, Quartier Canal, Éditions de l’université de Bruxelles, coll. « Guides littéraires de Bruxelles », 2022, 116 p., 12 €, ISBN : 9782800418087

aron brogniez solboschLa littérature naît dans des lieux, elle s’en inspire, elle les imprègne, elle s’y imprime. Chaque jour, nous croisons, sans le savoir, les routes d’écrivains – anciens ou contemporains –, nous passons devant leur maison, nous humons l’ambiance de leurs quartiers, nous traversons les paysages qui ont modelé leur imaginaire, l’univers dont ils ont su saisir l’âme d’un trait de plume, la géographie qu’ils ont transfigurée. Pourquoi ne pas chausser les lunettes de la littérature pour découvrir la ville ? Flâner dans l’espace comme on flâne dans les textes – des livres pour boussole ?

C’est ce que proposent Paul Aron et Laurence Brogniez dans une nouvelle collection de « Guides littéraires de Bruxelles » publiés par les Éditions de l’Université de Bruxelles. Le format des livres – faits pour être glissés dans une poche et emportés partout –, leur mise en page fluide – qui rend la lecture aisée durant la balade –, la présence d’une carte permettant de suivre l’itinéraire et de visualiser facilement ses étapes révèlent la volonté de rendre les ouvrages pratiques pour le lecteur-promeneur.

Les deux premiers volumes, consacrés respectivement au quartier du Solbosch et à la zone du Canal, proposent des parcours d’environ cinq kilomètres à faire à pied ou à vélo. Page après page, pas après pas, Bruxelles se redécouvre, sa vision s’enrichit. Mêlant géographie urbaine et littéraire, le texte décrit les lieux, évoque leur histoire, les peuple d’ombres d’écrivain.

La promenade dans le quartier du Solbosch commence ainsi au monument d’hommage à Odilon-Jean Périer, puis invite le promeneur à s’enfoncer dans le bois de La Cambre à la rencontre des auteurs dont les pièces ont été jouées au Théâtre de Poche, mais aussi de Paul Verlaine, qui évoque l’ambiance du bois dans son poème « Les chevaux de bois », de Charles Van Lerberghe, d’Albert Mockel, de Neel Doff, de Michel de Ghelderode ou d’Amélie Nothomb… L’itinéraire se poursuit par la découverte du chalet Robinson et du conte « Au repos de la santé » de Franz Hellens avant de s’enfoncer dans les profondeurs de la forêt de Soignes, parcourue par tous les auteurs épris de nature.

La littérature ne fait pas que s’insérer dans la ville, elle peut la sauver. Le patrimoine bruxellois aurait ainsi perdu la Maison Delune, souvenir de l’exposition universelle de 1910, si Jacqueline Harpman n’y avait situé l’intrigue de son roman Le bonheur dans le crime, sortant ainsi le chef-d’œuvre architectural de l’indifférence, complice des démolisseurs.

Ces quelques exemples montrent à quel point les textes concis de Paul Aron et de Laurence Brogniez, parfaitement adaptés au format d’un guide touristique et soutenus par une belle iconographie, fourmillent d’informations et d’anecdotes sur la ville et les auteurs qui séduiront autant les Bruxellois, curieux de découvrir différemment et plus profondément leur ville, que les touristes de passage ou les spécialistes de la littérature.

aron brogniez zone canalLe deuxième volume paru révèle la zone méconnue, et parfois mal-aimée, du canal pour mettre en lumière la richesse inspirante de cet espace-frontière où différents univers se croisent et fusionnent. Le guide commence, en guise d’introduction, par un texte inédit de Maxime Cotton avant d’inviter le promeneur à découvrir Anderlecht par la littérature. Deux maisons d’écrivain ouvertes au public offrent les premières étapes. Dans l’écrin de la Maison d’Érasme, le présent s’abolit et le visiteur, revenu au temps de la Renaissance, découvre la pensée de l’humaniste et les troubles de son époque. De l’autre côté du parc Astrid, le temps s’est aussi arrêté dans le calme immuable de la « Maison blanche », construite en 1933 par Maurice Carême. En passer le porche permet d’entrer dans l’intimité de l’univers poétique de l’auteur de Mère et de La lanterne magique, mais aussi de découvrir ses nombreux amis peintres et écrivains, comme Edmond Vandercammen ou Géo Norge. Un texte de Marius Renard ressuscite ensuite l’ambiance de la rue Wayez d’autrefois et accompagne la descente vers le quartier bouillonnant de vie des abattoirs et de Cureghem, évoqué notamment par Kenan Görgün. Rue de Manchester, la balade littéraire retrouve les traces de Neel Doff, puis plonge dans le riche passé industriel du quartier et évoque, en particulier, l’étonnante histoire de la raffinerie Gräffe, devenue un lieu de l’underground et du punk grâce à la compagnie Plan K qui y proposa, notamment, une performance de l’auteur du Festin nu, William Burroughs. L’itinéraire continue en longeant le canal vers Molenbeek et, dans un éclectisme fascinant, croise les routes de Marguerite Van de Wiele, de Franz Mahutte, de Véronique Biefnot, d’Iwan Gilkin, de Jean Muno, de Constant Burniaux, d’Herman Teirlinck, de Stefan Hertmans et révèle le dynamisme créatif des projets littéraires contemporains liés à l’immigration ou l’œuvre, intégrée dans l’espace urbain, d’Evgueni Bounimovitch célébrant un « Molenbeek palimpseste ».

Ainsi, la promenade est-elle jalonnée de retrouvailles, de découvertes, de surprises et se prolongera-t-elle certainement par des heures de lecture. On attend avec impatience les volumes suivants que proposeront, dans cette collection, Paul Aron et Laurence Brogniez.

François-Xavier Lavenne