Le désir est politique

Théophile BOURCASSI et Julie LOMBE, Tête-bêche, Bleu d’encre, 2023, 15 €, ISBN : 978-2-930725-58-1

bourcassi lombe tete becheTête-bêche, le recueil écrit à quatre mains par Théophile Bourcassi et Julie Lombe explore les territoires du désir où se rencontrent ébats érotiques et extases de l’écriture. Placé sous l’enseigne de la position 69, il se livre en deux parties, envers et endroit, chaque lecteur empruntant librement l’ordre de découverte. La multiplication des registres de langue, la juxtaposition de textes en prose poétique, de poèmes coulés dans l’acrostiche, de plages slammeuses où les rimes font l’amour délivrent une ballade érotique, un beat amoureux où les phrases, chauffées à blanc, se taillent une place au septième ciel. Parfois, la danse graphique s’invite dans des textes qui miment les corps enlacés ou qui s’étoilent en un soleil, en une roue de supplices-délices. On songe aux anagrammes d’Apollinaire, à son roman Les onze mille verges, on pense aux écrits de Henry Miller et d’Anaïs Nin, aux sommets érotiques de la prose ciselée par Serge Gainsbourg, on recueille et on compare les échos des mêmes scènes transcrites par Théophile Bourcassi et Julie Lombe. Le verbe claque, mordille, lèche, gicle, copule, met le feu aux pages. Pas de faux-semblant, pas de ruse mais une invitation à se promener dans un palais des fantasmes, dans des jeux de langue, dans les sortilèges de la baise. Les piments et scénarios BDSM s’invitent, l’écriture est éminemment physique, sensorielle, entre crudité et onirisme.

Baise ma bouche
Jusqu’à ce qu’un jus laiteux tapisse le mur de
mes joues
Et que je te boive jusqu’à la lie, jusqu’au dégoût
Mon amour, assiège mon visage, déjà je suis à
tes genoux 

Julie Lombe, autrice de La méthode slam, d’Une belle tête d’enterrement, de Kuïr, Le C/Goût des choses, Sagesse Africaine 2.0, a co-écrit avec Théophile Bourcassi (auteur du Dodécalogue paru aux Ed. MaelstrÖm reEvolution) le roman poétique épistolaire Renaissances. Quatrains pour chanter les caresses, les fesses, les morsures, les vertiges des sens, alexandrins huilés, formes libres qui s’ébrouent au rythme où les amants s’embrasent, langue tendue, à la fois fluide et râpeuse, électrique et romantique, ode à chaque parcelle des corps jouissants… Tête-bêche érotise les nervures du verbe, incendie la matière scripturale, part en quête de zones flamboyantes, crades ou ludiques où le torride se mélange à l’érotique queer, aux onnagatas urbains du 21e siècle.

Pour des ébats toujours plus dark
Travestis vulgaires dans les parcs
Overdose de photons pornos
De reines shemale en vidéo (…)

J’aime les hommes qui sont des femmes
Au corps si queer que je me damne 

L’humour côtoie une radiographie socioérotique des manières d’aimer, d’orgasmer, d’allumer les corps. Hormis les voyeurs, les figurants et les tribus fantasmatiques, les jeux érotiques se passent à huis clos, congédient le monde extérieur. Place aux sueurs, à la moiteur des peaux, aux accessoires, aux sécrétions, aux draps froissés, aux rituels, à l’exploration des mille et une façons de jouir. La puissance de l’attraction amoureuse est telle qu’elle crée un univers à l’écart du monde officiel. Comme l’écrivent Julie Lombe et Théophile Bourcassi, l’« Éros est politique ».

Noires mains qui astiquent
Ce sexe blanc de Troyes
Hissé au saut des draps
Éros est politique 

Pur bonheur de découvrir Tête-bêche qui subvertit les oukases d’une époque anti-libertine, ravagée par le néoconservatisme moral, engluée dans un puritanisme castrateur et fielleux.

Véronique Bergen

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