Philippe LEUCKX, Matière des soirs, préface de Jean-Michel Aubevert photographies de Philippe Colmant, Coudrier, 2023, 53 p., 18 €, ISBN = 978-2-39052-051-1
Poète prolifique (dans la notice le concernant, à la fin de ce volume, il faut pas moins de quatre pages pour faire l’inventaire partiel de ses publications) Philippe Leuckx nourrit d’amitiés poétiques.
On sait la générosité avec laquelle il rend compte du travail de ses consœurs et confrères dans des articles, des rencontres littéraires, des préfaces. Ce sont ainsi deux de ces complices qui ornent le dernier recueil en date : Philippe Colmant photographie des ciels de soir tandis que Jean-Michel Aubevert ouvre le livre avec une préface dont la poésie tend un miroir fraternel à la détresse qui hante Matière des soirs.
Leuckx empreinte à la mélancolie souterraine, ces éclats de lumière que deviennent les poèmes courts, scintillants évoquant l’absence, le deuil, le vide.
Et le cœur sonde à tout va / vers la lumière nous invite dans un des premiers poèmes à partager avec l’écrivain une émotion constante, vibrante, transparente.
Le livre, l’enfance, l’absence, le peu sont autant d’images que le poète éveille sous le tulle (Sous la lumière confinée / ce tulle de solitude), avec la précaution si sensible et intense que dictent l’effroi, la perte, le deuil.
L’enfance est ici marquée par les images de la campagne et du village (Oui, les saules du pré / et l’abreuvoir qui tonitrue / à chaque mufle). Et toujours, comme une mélodie dont on ne peut se séparer, les rêveries de l’enfant solitaire surviennent sous la plume nostalgique du poète : tout près l’enfant rêve / de vent léger. C’est peut-être celui-là le mot qui manquait, la légèreté. Déclinée sous des tonalités paradoxales comme la tristesse ou le silence, cette légèreté est sans doute la matière de ces instants-là où On ne voit pas le soir venir / à peine si la lumière vibre / au cœur.
Mais il faut déchanter bien vite. La tristesse gagne du terrain et on va vers le soir moins léger / à force / le cœur a de ces fatigues lentes (…) / quelque chien égaré / traîne sa doléance (…) on est si peu à soi.
L’ombre envahit la lumière et le cœur. Le deuil est là formulé avec la fulgurance d’une révélation : On est à soi / l’ombre de l’autre.
Au fil de ces textes courts, qu’il faudrait lire à voix haute, lente et grave, (peut-être en bande sonore d’agrandissements géants des photographies de Philippe Colmant) serpente un chagrin dont l’intensité ne s’estompe pas. Il nourrit ce recueil de son tremblement souterrain que rien ne vient interrompre.
L’écriture poétique n’est pas consolation mais partage. Sans doute ce dernier est-il du même ordre et de la même nécessité que les complicités évoquées plus haut. Dans sa préface nourrie d’empathie, Jean-Michel Aubevert attire d’emblée notre émotion : « Tristesse béante au fil du poème qui nous hante… ».
Matière des soirs éveillera en chacun l’écho des détresses anciennes ou présentes, que l’on peut dorénavant formuler, lire en poésie.
Jean Jauniaux