Dans une sorte d’éternité

Anne-Marielle WILWERTH, D’abord le souffle, Taillis Pré, 2023, 104 p., 16 €, ISBN : 978-2874502064

wilwerth d'abord le soufflePour la troisième fois, Le Taillis Pré accueille au sein de sa collection un recueil de poèmes signé Anne-Marielle Wilwerth. Après avoir publié Ce que le bleu ne sait pas de fragile (2019) et Les miroirs du désordre (2021), la maison d’édition ouvre sa porte à une injonction de la poétesse : D’abord le souffle.

S’y déploie une pratique de la poésie brève (une succession de quatrains) où le lecteur fidèle aura plaisir à retrouver la fulgurance et la profondeur des images que propose la poésie d’Anne-Marielle Wilwerth. Dans D’abord le souffle, ces images sont au cœur d’un mouvement double : d’une part elles sont des objets consommables à la lecture ; d’autre part elles alimentent la construction d’une pensée sur le processus même de la création par l’écriture, des origines à l’étincelle de la découverte.

À l’origine de l’écriture, il y a toujours un étonnement, un émerveillement, un trouble qui retient l’attention de la poétesse :

L’enfance et l’écriture
cueillent les fruits
aux mêmes arbres
aux mêmes étonnements

Mais loin de l’objet de l’étonnement en lui-même – complètement absent du champ d’investigation de la poétesse – c’est essentiellement la nature de cet étonnement que le recueil inscrit en chaque poème. Tout au long du recueil, celle-ci est égrenée pour en rendre les propriétés aussi perceptibles que possible.

L’effort est nécessaire, car à la source du trouble poétique il y a une intuition du dépassement des limites des sens et de la pensée qui est, par essence, inatteignable. L’invisible, l’inexistant, l’indicible, l’ineffable, l’inaudible, l’incertain, l’inachevé, l’infini, l’inassemblé, l’inéluctable et l’impatience sont autant de manquements et d’absences dont la poésie d’Anne-Marielle Wilwerth se nourrit en même temps qu’elle cherche à les contrecarrer par l’écriture :

Ne sommes-nous pas tous
à notre insu
fraudeurs de ce qui n’existe pas
et pourtant existe par l’écriture

Goût du paradoxe, cette quête trouve une issue dans la découverte d’ouvertures qui sont à situer aux interstices des diverses temporalités, thématique omniprésente dans le recueil. L’éphémère, à la jonction du présent et du passé, apparait à la fois comme un gage de mouvement et comme une source d’instabilité :

Si l’éphémère
ne faisait pas que passer
ne serions-nous pas ancrés
dans une sorte d’éternité

Par son intermédiaire, la découverte semble possible. Il éclaire, parfois, le chemin de l’écriture qu’emprunte à tâtons la poétesse, au contraire du bloc dur du présent :

Jamais
le présent ne se laisse distraire
par les coups incessants
frappés aux portes d’hier

Pourtant, l’éphémère n’en est pas moins une forme de l’instant présent qui apparait justement comme la temporalité à laquelle il faudrait s’amarrer. Il est un amoncellement d’instants, un découpage du temps. De poème en poème, il semble revêtir les traits du souffle dont il est mis en exergue qu’il peut se réfugier en chaque mot (« Chaque mot est un refuge du souffle ») et auquel la poétesse nous enjoint de laisser la priorité.   

Ainsi, se dessine une approche de la poésie, et plus largement de l’existence, en trois temps : une intuition vague et lointaine, le basculement dans une ouverture et l’ancrage dans un fragment temporel aussi périssable qu’il est pur présent. Ces trois temps correspondent au découpage du recueil en trois parties distinctes que sont « Vibrations de l’infime », « Trouver l’ouvert » et « D’abord le souffle ».

Au fil des pages, le lecteur chemine aux côtés de la poétesse, invité à la promenade autant qu’aux questionnements et aux révélations. Solides, élégants et sobres, les vers sont illustrés d’encres d’Éric Hennebique qui laissent une grande place à l’abstraction et au symbole. Elles accentuent la dimension extrêmement réflexive du recueil et plongent le lecteur dans les strates les plus primitives tantôt du poème, tantôt de sa propre intériorité, bien que le premier ne puisse exister sans le second :

Le poème a pour seul ancrage
ce que l’on est
mais dont on ne présageait rien
avant le poème

Voici qui permet encore de confirmer le double statut du poème tel que le conçoit Anne-Marielle Wilwerth et qui donne son rythme au recueil : à la fois produit fini et outil d’investigation.

Camille Tonelli

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