Pop and Cie

Sophie MUSEUR, Pop, Onlit, 2023, 250 p., 18,99 € / ePub : 9,49 €, ISBN : 9782875601735

museur popPop, c’est la gamine que sa sœur chambre. Ben oui, c’est quoi cette manie de s’asseoir sous le billard de La boule de Feu, ce café où trainent leurs parents tous les soirs, et d’observer « les jambes des gens, celles des tables, des chaises et du flipper aussi », chipoter avec les restes de chips tombés par terre, assister au spectacle des gens qui s’enivrent, se frôlent, remuent, titubent ? Et pourquoi cette petite lui colle aux basques quand elle désire s’éclater avec son copain du moment ou avec ses amies majorettes ? Et qu’est-ce qu’elle est pénible, aussi, lorsqu’elle lui rappelle les interdits et les punitions qui pleuvent alors qu’elle, Fani, aspire à un peu de vie et de légèreté. Mais, en même temps, elle l’adore, son encombrante sœurette ; elle la taquine et la rabroue, mais elle la défendrait contre n’importe qui, c’est sûr.

Pop Song, ça, c’est le surnom que Maman lui donne. Seulement elle. Enfin pour peu qu’elle sorte de sa brume alcoolisée, bien disposée… Maman, « ses yeux, bleu profond et vifs, ses cheveux épais », la gêne, elle ne connaît pas. Elle peut danser, hurler, rire à gorge déployée en public ; invectiver, frapper, geindre en privé ; et vice versa. C’est pas toujours facile de la suivre… ni de l’aimer, mais c’est Maman, c’est comme ça. Et Papa, il en est fou amoureux. Il tente toujours d’apaiser les disputes avec elle, d’éviter les tensions, de ménager la chèvre et le chou. C’est un rouge, qui entonne L’Internationale avec conviction avec ses copains de comptoir, un brave type sans fermeté devant le « sexe faible », un peu fainéant disent les mauvaises langues. Et elle est sa Popi, qu’il aime et protège mal.

À la ferme des grands-parents maternels, elle est Stoupié pour Mémère, et mo fille et parfois mon petite Polonais pour Pépère. Ils ont connu la guerre, ces deux-là, massacrent le français, détestent tous les étrangers (alors qu’ils le sont eux-mêmes), critiquent tout et plus encore (surtout Mémère), mais adorent leurs petites-filles ; peut-être rien qu’elles, d’ailleurs. Du côté de Papa, chez Mamie, Papy et Bobonne, du dialecte dont ils tartinent leurs échanges elle a vite saisi qu’elle était une p’tite crotte et, mieux encore, ma Finette, surnom qui chante en elle comme « une longue caresse ». Là-bas, quand ce ne sont pas Adrienne, Palmyre, Renée et la clique des vieilles amies qui débarquent, voilà les malades et les invalides qui défilent chez Mamie qui s’occupe de la mutuelle. Il y a toujours du mouvement, chez tous ses grands-parents, et ce sont ses deux endroits-refuges ; avec sa cabane bien sûr, un peu beaucoup détruite malheureusement.

Pour Huguette, une vieille cliente du café toujours flanquée de son toutou chéri, c’est p’tite prune. Le cœur sur la main, elle l’accueille « contre ses seins immenses et son odeur de crevette au fromage » et lui offre toujours des orangeades. Le frituriste du village lui donne plutôt du louloute avec sa grande frite mayo ; elle le voit assez souvent, ses parents ne cuisinent pas tant que ça… Par contre, à l’école, c’est un peu plus compliqué. Les garçons lui balancent des sale truie, vache, gros cul et d’autres insultes qui la chargent et tournoient en elle après. D’autant qu’elle ignore la signification de certains mots-flèches et qu’elle doit se coltiner des recherches dans le dictionnaire pour essayer de les comprendre. Heureusement, y a quand même deux, trois personnes plus sympas dans le tas, comme le gros David, Vincent et Nathalie, et Malika à l’odeur de jasmin et la voix de velours, à qui on lui interdit de parler parce qu’elle est « musulmane » ou un truc du genre.

Et Naj’, le beau et étrange Najim, lui, il l’appelle de son vrai prénom, Stella, celui qui signifie « étoile ». Il lui en offre d’ailleurs, des étoiles, dans ses yeux, dans son ventre, sur sa veste (mais des pin’s, alors). Il parle la même langue que Malika, celle « qui cailloute et rocaille et caresse l’intérieur de la peau » et elle ne capte pas bien sa culture bizarre. Fani claironne qu’elle est amoureuse, mais elle, elle sait même pas ce que ça veut dire et, encore une fois, la consultation du dico n’est pas d’une grande aide. Et ce que racontent les autres non plus. Tout ce qu’elle voit, c’est qu’elle ressent du calme et de la nervosité à la fois, et plein d’autres émotions nouvelles avec lui… Ce serait peut-être ça, leur amour ?

Pop est donc toutes ces personnes, sans trop bien savoir qui elle est. Mais n’est-ce pas le propre de l’entrée dans l’adolescence que de se chercher, d’appréhender ses contours intérieurs, d’explorer les « trop de questions et pas de réponses », de se sentir paumée, curieuse et contrariée ? Et c’est avec finesse et tendresse que Sophie Museur évoque cette transition dans son premier roman éponyme. Pop serait un peu comme une chanson dont les couplets se concentreraient sur un entourage déroutant et instable, le refrain reprendrait les désarrois et les petites joies de la gamine, et la langue se colorerait d’un wallon-polonais-arabe-français. Un tube des années 1980, intimiste, déstructuré et entraînant, qui passerait dans les vieux juke-boxes et ferait irrépressiblement dodeliner les têtes et les corps de tout un chacun. Une bande-sonore attachante et intemporelle, qui résonne.

Samia Hammami

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