Un voyage spatial vers les imaginaires queer

Un coup de cœur du Carnet

Marine FORESTIER, Les lichennes, ESAAA éditions, 2023, 432 p., 14 €, ISBN : 9791091505321

forestier les lichennesLes lichennes est un récit qui repose sur la rencontre de personnages provenant d’environnements radicalement différents. On y croise entre autres : Thelma, la chlorophilienne, mi-humaine mi-végétale, qui a grandi sous terre, dans une grotte pleine de végétaux dépolluants. Farouk, habille mécanicien habitant du satellite artificiel qui tourne autour de la terre. Ros, rebelle originaire des bas-fonds pollués de la planète, condamnée à trier les déchets qui sont exploités par la classe dirigeante. Anatol, étudiant médecin qui vit aux Arcades, la cité qui culmine au-dessus de la nappe toxique.  Mais ce ne sont pas là tous les personnages du récit, d’autres personnalités faisant ensuite leur apparition pour jouer le rôle d’antagoniste ou d’allié auprès des héros et héroïnes précitées.

Portée par la gamme des possibilités offertes par les littératures de l’imaginaire, Marine Forestier parvient à créer des univers et des personnages très complets.

Mais Les lichennes est aussi un roman bien maitrisé du point de vue de la langue. Plusieurs dimensions y sont explorées : le mécanique, le végétal, l’organique, l’aquatique, le céleste. Chaque chapitre débute d’ailleurs par un poème. Le récit amène les lecteurices à voyager depuis les hauteurs d’un satellite en révolution autour de la Terre jusqu’aux profondeurs chaudes et humides de l’océan. La gamme des matières et des décors explorés est vaste. La langue s’adapte au paysage et se coule dans le discours des personnages, pourtant très différents les uns des autres, sans que le rythme de l’histoire n’en soit jamais perturbé. Les genres des pronoms et les accords sont aussi polymorphes que le sont les décors et les ambiances. On passe du féminin majoritaire utilisé par la communauté des chlorophiliennes au non-binaire de la langue des Orcantes, créatures qui se sont définitivement dépouilléxs de la notion de genre. Cette plasticité de la langue et des points de vue est l’une des forces du récit. Chaque glissement de vocabulaire ou de norme langagière se produit pour des raisons narratives (par exemple dans le cas des chlorophiliennes, le féminin pluriel se justifie car il n’y a que des individus féminins chez ce peuple). Pris dans l’histoire, nous nous laissons porter vers la destination qu’a choisie l’autrice, qui pilote habilement son récit.

Cependant, le roman est très loin de faire œuvre d’un militantisme pédagogique. Au contraire, il s’appuie sur des effets narratifs maitrisés. Les littératures de l’imaginaire n’ont pas leur pareil pour faire émerger par la simple description d’autres univers la remise en question de notre ici et maintenant. Par contraste ou par comparaison avec les mondes que nous décrit Les lichennes, notre présent apparait dans toute sa dimension anthroponormée, hétéronormée et écocide.

Avec brio, poésie et finesse, l’autrice décline au futur des humain-e-s radicalement éloigné-e-s des normes d’aujourd’hui. Un voyage sensuel, enivrant et transgressif.

Marie Baurins

Plus d’information