Seul sur Mars

Un coup de cœur du Carnet

Gil BARTHOLEYNS, L’occupation du ciel, Payot & Rivages, coll. « Rivages/Imaginaire », 2024, 260 p., 21 € / ePub : 15,99 €, ISBN : 9782743662424

bartholeyns l'occupation du cielAprès Deux kilos deux en 2019, Gil Bartholeyns revient à la fiction et signe, avec L’occupation du ciel, une remarquable entrée des plumes francophones dans la jeune collection Rivages/Imaginaire. Orientée vers les fictions aux accents prospectivistes, la collection vise à promouvoir les regards singuliers sur le futur de l’humanité. Elle apparaît ainsi tout indiquée pour accueillir ce roman d’anticipation particulièrement marquant où se mêlent avec une parfaite maîtrise drame intime et techno-thriller haletant.

On y suit Clay Sawyer, seul survivant d’une très coûteuse mission sur Mars dont le succès devait préfigurer l’avenir glorieux de la colonisation de la planète rouge. Malheureusement, rien ne s’est passé comme prévu. Le fiasco est même total. Traumatisé à la fois par la perte de sa compagne, membre elle aussi de l’équipage, et par la violence de l’expérience, l’astronaute est victime d’amnésie. Alors qu’il reconstitue péniblement les conditions du drame, la puissante Agence spatiale à l’origine du projet tente de sauver le programme de colonisation de la planète en faisant porter les raisons de l’échec sur les seules épaules de l’homme rescapé. Car au-delà des énormes enjeux géopolitiques et financiers, c’est le vieux rêve d’exploration spatiale de l’humanité qui est en péril. Sur une planète Terre en proie aux ravages d’un dérèglement climatique devenu incontrôlable, l’humanité ne semble pas vouloir envisager d’enterrer définitivement le mythe, plus que jamais salvateur, d’une planète B. 

La fascination de la littérature pour Mars ne date pas d’hier et la science-fiction en particulier en a fait un de ses sujets de prédilection. Sa proximité comme ses ressemblances avec la Terre n’y sont pas étrangères et les rêves de conquête spatiale y ont trouvé de longue date un terreau naturellement fertile. Mais la littérature, même d’imaginaire, ne peut se soustraire au réel et la science-fiction se trouve peut-être aujourd’hui à un moment charnière. Alors que le pessimisme d’hier devient la réalité d’aujourd’hui et que les avancées en astronomie tendent à acter la quasi-impossibilité pour l’homme d’établir des colonies en dehors de la planète Terre, notre vision de l’avenir de l’humanité ne peut qu’évoluer. Le génie de Gil Bartholeyns est de saisir ce point de bascule dans nos imaginaires du futur et d’en faire le cœur de son roman. Un désenchantement nécessaire en guise de retour à l’essentiel. Car à travers le drame intime et particulièrement touchant d’un homme qui a tout perdu, l’auteur dresse un tableau glaçant d’une humanité en déroute symbolisée par les immenses incendies qui ravagent le paysage tout au long du roman :

Sous les incroyables volutes qui formaient un plateau en haut altitude, une brume bitumeuse planait dans tout l’espace déjà presque nocturne. Des éclairs de chaleur crevassaient l’étendue, allumant toujours plus de feux. On pointait du doigt l’immensité catastrophée vers Santa Clarita. Là ! Et là aussi ! Vers la vallée de San Bernardino. On était hébété. On parlait à voix basse. On mettait la main sur le front. Que se passait-il ? 

La légère anticipation de l’intrigue ne cache en rien la redoutable actualité du constat. Entre indifférence, adaptation résignée et effarement stérile face aux conséquences désastreuses de ses propres actes, l’espèce humaine semble plus que jamais incapable d’assumer ses propres errements. Le roman a ainsi quelque chose d’étouffant et la remarquable habileté de l’auteur n’a d’égale que son implacable réalisme. Les amateurs de lendemains qui chantent seront déçus : il n’y a pas vraiment de lumière à l’horizon et l’auteur semble acter la fin d’un combat perdu faute de combattants. Que reste-t-il à faire ? Pas ou peu de choses. Si le roman prend dans sa seconde partie des accents voltairiens, difficile de reprocher à son héros de renoncer à ses louables ambitions. Comme disait Peter Watts, auteur canadien de science-fiction ayant lui aussi bien tragiquement saisi l’atmosphère de notre temps : « Ce n’est pas un monde que mes personnages ont construit. Seulement celui que nous leur avons laissé ». Il faudra dès lors faire avec. Le roman de Gil Bartholeyns nous le rappelle avec une intelligence redoutable et une salutaire radicalité. 

Nicolas Stetenfeld

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