Complainte du temps qui passe

Lorenzo CECCHI, Non finito, Bleu d’encre, 2024, 128 p., 16 €, ISBN : 978-2-930725-67-3

cecchi non finitoLorenzo Cecchi est né à Charleroi en 1952. Agrégé en sociologie, il a été animateur de maison de jeunes, promoteur de spectacles au Théâtre National, administrateur de sociétés, ou encore commissaire d’exposition avant de terminer sa carrière en tant que commercial dans une société de protection contre l’incendie. Pendant dix ans, il a également enseigné la philosophie de l’art à l’académie des Beaux-arts de Mons. « Lorenzo Cecchi a commencé à publier tardivement avec un premier roman remarqué, Nature morte aux papillons (2012), sélectionné pour le Prix Première de la RTBF, ainsi que les prix Alain-Fournier, Saga Café et des lecteurs du magazine Notre Temps. Depuis, l’auteur belge, prolixe, alterne romans et recueils de nouvelles », écrivait à son propos Michel Torrekens. Non finito, son premier recueil de poèmes, nous  invite à mordre la vie au présent parce que « demain n’est pas certain »  et que « […]. Le ciel, comme celui de Camus, reste aux abonnés absents, il ne répond pas, il y a des questions, seulement des questions ».

Dans ses poèmes, Cecchi, vrai conteur, utilise un ton narratif et peu de métaphores ainsi qu’une forme poétique faite de vers libres, avec des textes parfois titrés et parfois sans titre. Sa langue est économe, syncopée, peu bavarde, objective et relate la vie quotidienne, fait remonter à la conscience des souvenirs, des bribes de mémoire, esquisse à partir de situations concrètes sinon triviales une métaphysique de la vie humaine en son inéluctable transitivité. Le temps est un des axes de sa réflexion. Dès le poème initial, il écrit :

Elle plonge l’œuf
Retourne le sablier
Me dit regarde
Au point de symétrie :
Suspension
Rien
Pudeur et retenue
La vie s’excuse
D’engendrer la fin
Ici se tapit mon amour pour toi
Du passé à l’éternité
Sans avenir

Puis elle éclate en sanglots

Cette réflexion est inextricablement liée à la thématique du sentiment amoureux, dont témoigne à son tour l’avant-dernier poème :

Dans la chaleur des corps
Croissent les ténèbres
Les mains tiédissent
Peu à peu l’amour glisse
Dans la mer de glace

Non finito est un titre, sous cet angle, apparemment paradoxal : non fini, le temps est pourtant ce qui met fin à l’aventure humaine dont la nature et les réalisations sont mortelles. Pourtant il existe à travers la transmission des générations et la bibliothèque des visages et des souvenirs une forme de continuité. Et vivre est au quotidien, en sa grande déshérence et son abyssale nostalgie, le meilleur antidote à la mort et à l’oubli. Cette attitude stoïcienne/épicurienne du Carpe diem soutient tout le recueil des poèmes de Non finito : on y entend comme en écho la leçon du dur métier de vivre de Cesare Pavese puisqu’on est tous de passage, non ?

Une autre caractéristique de Lorenzo Cecchi c’est qu’il « n’écrit pas pour se plaindre. Sa verve a d’autres ambitions. Ses textes sont des actes de résistance, de légitime défense contre l’agressivité du monde», soulignait Nicolas Marchal à propos de Protection rapprochée. En effet, s’il est conscient de la crapulerie de l’espèce humaine et de la société, s’il fait œuvre de moraliste à la manière d’un Brassens, d’un Desproges ou d’un Molière, Cecchi, dans les poèmes de Non finito comme dans son œuvre en prose, démontre aussi son empathie pour les pauvres gens que nous sommes, soulignant ainsi l’autre face de la nature humaine : la commune fragilité devant notre condition biologique comme l’exploitation de l’homme par l’homme.

« Les auteurs belges francophones issus des familles italiennes qui ont émigré en Belgique à la moitié du 20e siècle ont marqué notre patrimoine littéraire d’une empreinte forte. Ils nous ont donné des œuvres qui font désormais partie de notre bien commun et dont la valeur n’est plus à démontrer », écrivait Thierry Detienne à propos du roman Comme un tango (2021) :

Se fondant essentiellement sur son expérience personnelle, [Cecchi] nous relate dans Comme un tango l’histoire de sa famille de 1947 à 1974. Celle de ses parents, Osvaldo et Mirella, avant leur départ de leur région natale des Marches pour la Belgique, alors qu’ils vivaient de débrouille sans espoir de sortir de leur condition.

On retrouvera ce sens de l’observation du sociologue de formation qu’est Cecchi et cette fidélité mémorielle à ses racines culturelles dans les poèmes de Non finito, une œuvre qui s’inscrit dans la belle tonalité de la communauté littéraire et poétique italo-belge.

Éric Brogniet

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Lorenzo Cecchi sera présent à la Foire du livre.

  • Samedi 06 avril de 11h à 12h – Stand 216 : dédicaces