Contemplation au bord du vacillement

Serge NUÑEZ TOLIN, Sur le fil de la présence, Taillis pré, 2024, 75 p., 15 €, ISBN : 978-2-87450-227-9

nunez tolin sur le fil de la presenceTaillé dans une langue toute en délicatesse, ce nouvel opus de Serge Núñez Tolin, Sur le fil de la présence, déplie plusieurs de ses thématiques de prédilection, déjà présentes notamment dans ses derniers recueils L’exercice du silence (Le Cadran Ligné) et Les mots sont une foudre lente (Editions Rougerie, 2023, titre qui lui a par ailleurs valu le Grand prix de poésie 2023 de l’Académie royale de Langue et de Littérature françaises de Belgique). Celles-ci ne sont autres que l’éveil et le silence, face à l’obstacle que constituent les mots, le langage.

Les mots ne serviraient plus à parler mais à voir. L’objet devenu comme une saturation dans l’air qui le cerne. 

C’est dans une relation de réciprocité, de soi aux choses (et l’inverse) que la présence se joue : le poète Serge Núñez Tolin réussit ce tour de force de déjouer et de contourner le paradoxe de dire, avec des mots, l’impasse que ceux-là mêmes représentent. C’est alors une respiration qui tient ces pages en haleine, qui se diffuse dans le corps jusqu’aux synapses. C’est à un ample sentiment de présence, qui n’est par ailleurs pas étranger à ceux qu’évoquent les philosophies extrême-orientales, que ces pages ouvrent.

J’attends la minute comme une occurrence du hasard, fossile inachevable du temps. 

Contemplation, introspection, extériorité, équilibre, ce recueil déploie les forces du vide et du plein qui nous constituent. Les phrases sont ainsi tenues en équilibre, sont souplement tendues, tout en laissant affleurer la menace du vacillement qui les guette. Le regard posé sur le monde est ainsi un regard qui ne tranche rien – qui habite, qui est , qui écoute les sinuosités du monde en se faisant le réceptacle de ses transformations.

Je ne perçois pas le présent sans qu’il m’impose ses changements. L’immuable se mêle au changement, j’y vais comme un effacement. 

Pourtant, une ombre plane : l’attente. Mais l’attente de quelle advenue, au juste ? Celle-ci acquiert une dimension d’absolu, à l’instar de l’emploi de l’infinitif : nous n’attendrons peut-être rien d’autre que le fait d’être humain et d’habiter pleinement notre présence au monde. Ainsi, l’opus Sur le fil de la présence le dit assez : faut-il être riche de questionnements intérieurs pour parvenir à cesser de poser des questions au monde… qui n’apportera aucune réponse, sinon celle de la présence.

Charline Lambert