Les prix littéraires 2023 de l’Académie

le palais des académies

Le palais des Académies © Arllfb

L’Académie royale de langue et de littérature françaises de Belgique (Arllfb) a décerné ses prix littéraires ce samedi 9 mars. Huit auteurs et autrices ont été récompensés, dans tous les genres littéraires.

Grand prix du roman

lombe eunice

Le grand prix du roman 2023 va à Lisette Lombé pour Eunice paru aux éditions du Seuil.

Ce prix annuel est doté de 1 500 €. Il récompense un auteur ou une autrice belge ou vivant en Belgique, pour un roman mais aussi pour d’autres genres de fiction en prose (nouvelles, récits, apologues, etc.).

Extrait de l’argumentaire du jury :

Récit d’une transcendance

On peut apparaître, à moins de vingt ans, infiniment prometteuse, surgissant sur le seuil d’un avenir lumineux, et, cependant, se voir abandonnée par son compagnon, d’abord, et, ensuite, se retrouver orpheline, sa mère disparaissant en laissant sans réponse toutes les questions qu’on pouvait se poser à son sujet…
Mais, au lieu de céder à l’accablement, de s’effondrer, Eunice va se réaccomplir en se livrant à une enquête qui lui ouvre de nouveaux horizons.
Dans une langue qui sollicite tous ses dons de poétesse, la romancière qui se révèle ici nous donne à voir comment un être avide de vivre et d’aimer peut, sublimement, se sauver en réinventant sa joie d’exister… de revenir au monde et de lui restituer tout son sens.
Le Prix que nous lui remettons aujourd’hui traduit la gratitude qu’inspire aux lecteurs d’une prose follement séduisante la slameuse belgo-congolaise et, au demeurant, notre poétesse nationale, Lisette Lombé.

Pierre Mertens

Grand prix de l’essai

de sutter superfaible

Le grand prix de l’essai va à Laurent De Sutter pour Superfaible, paru aux éditions Flammarion.

Annuel, le grand prix de l’essai est doté de 1 500 €. Les domaines concernés sont : philosophie, histoire, sociologie, spiritualité, religion… à l’exclusion de la critique littéraire, histoire de la littérature, linguistique et philologie qui font l’objet de prix distincts. Ce prix sera particulièrement attentif à la réflexion et à l’écriture.

Extrait de l’argumentaire du jury :

Laurent de Sutter, avec une grande maîtrise langagière et une entière liberté de ton, nous propose un livre de philosophie en action, un ouvrage de combat où l’humour, la vivacité, les formules-chocs favorisent une vision synoptique de la réalité. Le lecteur de Superfaible est ainsi incité à parcourir une sorte de « jardin aux sentiers qui bifurquent », ne mégotant pas sur les gros mots et les blagues en coin, qui s’attaque pourtant avec un sérieux absolu à un des plus importants angles morts de notre époque : et si ce qui avait longtemps été une valeur intouchable (les vertus de la pensée critique contre celles du dogmatisme, de l’obscurantisme, de la croyance, de la superstition ou de la naïveté, bref, de la pensée a-critique) était devenu un poison ? Et si l’héritage critique de la modernité était un piège dans lequel nous nous serions enfermés de manière volontaire — un piège dont nous n’apercevrions qu’aujourd’hui, à l’âge des réseaux sociaux et du complotisme généralisé, c’est-à-dire de la critique devenue omniprésente, le caractère fatal ?
Multipliant les propositions qu’on pourrait prendre pour des provocations (« Tout est possible », « Tout existe », « Tout est permis », « Il n’y a pas d’autre temps que le futur »), explorant les domaines les plus disparates en apparence (le jazz, la cuisine, la géométrie ancienne, le droit international, la poésie, la science-fiction, la logique indienne, l’architecture japonaise, et j’en passe), Superfaible est une machine à penser dont le motto principal pourrait être : et s’il était possible de faire autrement – tout autrement ?

Luc Dellisse

Grand prix des arts du spectacle

fountas sauvez batard

Le grand prix des arts du spectacle récompense Thymios Fountas pour Sauver Bâtard (L’arbre de Diane).

Prix annuel doté de 1 500 €, le grand prix des arts du spectacle récompense du théâtre, mais aussi éventuellement : scénario de cinéma ou de télévision, seul en scène, etc.

Extrait de l’argumentaire du jury :

En primant Sauvez Bâtard, le jury tient à saluer tant la qualité et la nouveauté d’une écriture puissamment théâtrale que la singularité de l’univers qu’elle impose. Il fallait le rythme très rapide et très musical créé par Thymios Fountas, la recherche d’une forme qui s’emploie à court-circuiter les codes syntaxiques, à manier un langage empreint tout aussi bien de platitudes, de crudités, d’argot ou de néologismes que de fortes envolées lyriques ou d’images délirantes, pour imposer de façon si attractive des personnages vivant à la marge d’une société futuriste aux accents de fin du monde. Il fallait également cette langue inédite pour faire entendre, à travers la fable tragicomique qu’elle met en scène, l’inquiétude d’une génération pour laquelle l’avenir semble presque barré. Comment survivre, comment s’aimer, quand le ciel risque de s’obscurcir à jamais, sinon de se réduire en morceaux comme la pièce le suggère ?
Dans un terrain vague, espace laissé pour compte mais aussi espace du possible, apparaissent des êtres dont le seul nom, tout en traduisant leur condition toute précaire, indique également la part de grotesque dont la pièce se teinte volontiers. On voit le nommé Clébard tenter d’obtenir l’aide de ses comparses Cafard et Clochard pour organiser un procès. Il s’agira de juger Bâtard, un autre résident du coin, pour un meurtre dont celui-ci semble ne pas se souvenir. L’affaire devient vite foireuse et tout dérape sans que l’on s’embarrasse guère de vraisemblance : poète, Bâtard use de son pouvoir pour provoquer des flash-back qui font basculer l’essentiel de ce qui suit vers la brûlante et éphémère histoire d’amour qu’il vient de vivre avec Ekart, le seul personnage à s’être construit selon la normalité sociale et morale et qui voit ainsi s’envoler tous ses repères.
Le titre de la pièce connote, bien sûr, une signification plus large que l’issue d’un procès dérisoire. C’est au refus de l’identitaire et de la prétendue normalité qu’il appelle, et ce au bénéfice de ce qui est de l’ordre du composite, de l’inclassable, de la dissidence, qu’il s’agisse de la marginalité sociale ou du désir et de l’amour sous toutes leurs formes. Mais sans didactisme ou discours explicite ; c’est dans les interstices, voire dans le non-dit, que le sens vient se glisser, autre signe également de la qualité de cette écriture.
Le ton joyeusement provocateur, heurté, drôle, sensuel, de Sauvez Bâtard ajoute encore à la force de ce nouveau langage, propulsé par un imaginaire queer, rebelle à toute contrainte et revendiquant une réinvention des modes d’expression et des comportements.

Paul Emond

Grand prix de poésie

nunez tolin les mots sont une foudre lente

Serge Nuñez Tolin reçoit le grand prix de poésie pour Les mots sont une foudre lente aux éditions Rougerie.

Annuel et doté de 1 500 €, ce prix récompense un poète belge pour l’ensemble d’une œuvre ou un recueil remarquable.

Extrait de l’argumentaire du jury :

Le jury entendait souligner également l’importance de l’œuvre que construit Serge Nuñez Tolin depuis ses premières publications, il y a une bonne vingtaine d’années. Que l’on pense à la série des Solo (de I à IV) parue au Cormier, aux volumes publiés chez Rougerie tels L’ardent silenceLa vie où vivre ou, plus récemment, Près de la goutte d’eau sous une pluie drue (2020).
Le recueil aujourd’hui lauré, Les mots sont une foudre lente, s’inscrit, comme tous les autres textes de Serge Nuñez Tolin, dans ce qu’on pourrait appeler (c’est d’ailleurs le titre d’un mémoire consacré à l’auteur) « une poésie métaphysique à la recherche du quotidien ».
Et l’épigraphe de Philippe Jaccottet (ouverture à la première partie du manuscrit) — je la cite : « autour des simples paroles d’échanges, il pourrait subsister un infini » — pourrait à elle seule circonscrire le dessein de l’auteur. Les mots les plus simples (des mots pareils aux jours banals [p. 9], la vie revenue parmi les heures simples [p. 25] ou les riens insignifiants [p. 26]) sont ici porteurs d’une profonde réflexion aux allures philosophiques ou métaphysiques, comme déjà évoqué. « Il y a — écrivait notre confrère Éric Brogniet dans Le Carnet et les Instants — une forme de simplicité et de mystère dans cette poésie économe en images et orientée vers le questionnement de l’être. »
Un recueil qui certes se penche sur notre condition humaine, mais aussi qui creuse l’écriture elle-même, nous proposant de tenir simplement les mots comme « une foudre lente ».
Les mots sont une foudre lente est un recueil de sagesse, qui n’a pas peur de se confronter aux choses du dedans comme au quotidien le plus élémentaire, qui sait entendre le silence comme la voix des autres, qui nous installe face au miroir de nos vies et nous interpelle sans cesse.

Yves Namur

Prix Verdickt-Rijdams

levyh la version

Le prix Verdickt-Rijdams 2023 récompense Debora Levyh pour son premier roman La version, paru aux éditions Allia.

Prix biennal doté de 3 000 €, le prix Verdickt-Rijdams récompense un ouvrage portant sur le dialogue entre les arts et les sciences.

Extrait de l’argumentaire du jury :

Ce prix biennal récompense un ouvrage portant sur le dialogue entre les arts et les sciences. Il est attribué cette année à Debora Levyh, pour son livre La Version, paru chez Allia en 2023.
« Avec La Version, nous dit l’argumentaire du livre, Debora Levyh nous entraîne à la rencontre d’un peuple imaginaire et merveilleusement insaisissable. » Et tout semble être dit dans cette seule phrase qui définit parfaitement cet ouvrage où peuvent se croiser sociologie, ethnologie, anthropologie… d’un monde inexistant.
Mais l’autrice de nous mettre en garde : « Entendons-nous bien, rien de ce que je raconte n’est métaphorique. »
La narratrice aborde ainsi, en partageant leur quotidien, un peuple imaginaire et ses comportements pour le moins étranges, qu’ils soient alimentaires, vestimentaires ou autres. Qu’il soit question de parler, d’écrire, d’avoir des sentiments ou des désirs, qu’il soit question du rapport au temps, tout ici s’inscrit en marge de nos pensées et attitudes rationnelles. Des visions improbables, surréalistes ou fantastiques, pourrait-on ajouter, qui voisinent avec l’absurde et le conte philosophique.
Ainsi — et j’y reviens — en est-il du temps pour lequel « l’essentiel n’était pas de mesurer le temps qui passe, mais de lui donner forme ». Un temps déterminé par la hiérarchie des événements. Par exemple : « La mort d’un personnage égalait la chute d’une pomme au pied d’un pin. »
Quant à la nourriture, elle est composée de terre, de billes en verre et de livres, « Quantité de livres ». Dans ce texte, il y a également cet objet singulier que chacun possède : un coffre dans lequel sont consignés des fragments de leur vie. « Le coffre, écrit Debora Levyh, n’était pas à eux, c’était eux. »
On le devine, rien, dans ce livre, ne fait référence à notre réalité, ni au Grand Réel, fût-il celui du poète René Char. Il s’agit en l’occurrence d’une nouvelle dimension, un espace que nous ne connaissons pas, que nous sommes loin de soupçonner.
« Voir, écrivait Edmond Jabès, c’est ouvrir une porte. » Ce que Debora Levyh nous donne à voir, nous ouvre probablement une porte sur le vaste inconnu.

Yves Namur

Prix Découverte

vandeveugle feu le vieux monde

Le prix Découverte va à Sophie Vandeveugle pour son premier roman Feu le vieux monde (Denoël).

Ce prix annuel récompense une œuvre littéraire (principalement la poésie, mais également le roman, le théâtre, etc.) d’une autrice ou d’un auteur belge ou résidant en Belgique, prioritairement âgé de moins de 40 ans. Ce prix consiste en une œuvre d’art.

Extrait de l’argumentaire du jury :

Sophie Vandeveugle a 25 ans et la lucidité de sa génération. L’histoire qu’elle nous raconte est celle d’une guerre contre le feu, cet ennemi aussi meurtrier que les gaz asphyxiants dans les tranchées de 1914-1918, que les déluges de bombes en 1940-1945, que tous les massacres d’aujourd’hui.
Sauf qu’à une guerre, il y a toujours une fin. De cette guerre-ci on ne voit pas la fin. Ni de nos jours, où les catastrophes climatiques se multiplient, ni dans ce beau récit dont on a dit qu’il était une fable, une dystopie, alors qu’il nous apparaît comme plus vrai, plus actuel même que les prévisions apocalyptiques qui sont devenues notre quotidien.
Avec Feu le vieux monde, nous sommes loin des vaines COP, loin des engagements non tenus, loin de la résignation ou de la mauvaise foi, mais au plus près du cynisme de ceux qui poursuivent l’arrosage de leurs golfs impeccables et de l’angoisse des autres qui se battent pour leurs maisons, leurs enfants, leurs cultures et leurs bêtes. Nous sommes donc demain, ou après-demain, ou l’été prochain, ou le suivant, au moment où la terre nous dit adieu dans un déluge de feu. Déjà dans l’Enfer. Déjà dans le deuil de tout ce que nous aimions. Mais nous sommes aussi — enfin ! — dans l’action. Celle de gens qui se mobilisent, solidaires d’une faune sauvage dont les douleurs les bouleversent, hantés par la disparition fulgurante des paysages. Les yeux grands ouverts sur la monstruosité de ce temps et la beauté qui part en torche, Sophie Vandeveugle nous rappelle en filigrane comment on en est arrivé là. Mais elle nous fait sentir aussi que le courage et la lutte collective existent. Et la douceur. Et la lumière du vivant. Elle le dit au travers de personnages qui sans doute lui ressemblent, graves, lumineux, acharnés au combat.
Avec efficacité, alternant évocations puissantes et dialogues incisifs, elle donne à voir leurs lieux de vie, leurs gestes, leur épuisement ou le miracle d’une accalmie. Son écriture est sensible et musclée, évocatrice et précise. Un premier roman d’une impressionnante maturité.

Caroline Lamarche

Grand prix d’histoire de la littérature

vitry le droit de choisir ses freres

Le chercheur français Alexandre de Vitry reçoit le grand prix d’histoire de la littérature pour Le droit de choisir ses frères? Une histoire de la fraternité, publié chez Gallimard.

Ce prix biennal est doté de 1 500 €. Il récompense un ouvrage concernant l’histoire de la littérature mais aussi l’histoire des idées, des mentalités et des courants littéraires. Il peut être décerné à toute personne étrangère écrivant en langue française.

Extrait de l’argumentaire du jury :

Ambitieux par l’étendue de son propos, le livre d’Alexandre de Vitry réussit à cerner avec brio les variations de sens d’un concept venu de la sphère familiale, mais étendu sur le mode métaphorique à l’histoire des idées. À partir d’une analyse lexicographique serrée, qui ne fait pas l’économie d’une incursion dans l’inventaire philologique du terme — adelphosfraterfraternitas, etc. —, l’auteur dégage le paradoxe sur lequel repose sa démonstration : la confrontation entre l’assertivité d’un discours humanitariste et universaliste que manifeste la présence du mot dans la Déclaration universelle des droits de l’homme (« … [tous les hommes] doivent agir les uns envers les autres dans un esprit de fraternité »), et la réalité vécue d’une prescription morale éminemment ambiguë. En effet, le mot ne figure guère dans le vocabulaire courant des familles, et force est de constater qu’une des sources du christianisme consiste en un fratricide fondateur. Ainsi, et sur le plan psychologique et sur le plan spirituel, sa consistance sémantique n’est pas très assurée. De cette ambiguïté témoigne, au centre de l’ouvrage et dans le contexte de la révolution de 1848 — date pivot du déroulé de la métaphore —, un texte très peu connu du poète Pierre-François Mathieu (1808-1864), qui s’ouvre sur le mode unanimiste (« Le ciel nous fit tous frères »), et se conclut sur un massacre…
C’est une des qualités de l’ouvrage, magistralement écrit, de mettre en concordance un mot, une devise et un slogan, avec l’expression variée de l’opinion publique et des grands courants de pensée qui ont accompagné l’évolution politique de la France après la Révolution de 1789, dont la rhétorique « fraternelle » s’est avérée curieusement défaillante : la proposition de Robespierre d’inscrire le « principe fraternel » dans la Déclaration des droits ne fut en effet pas acceptée !
L’argumentation de l’ouvrage s’appuie sur de multiples attestations, venues d’écrits littéraires (Hugo, Baudelaire, George Sand, Péguy, Romain Gary), philosophiques (Derrida, Deleuze), politiques (l’abbé Grégoire, Claude Fauchet) et journalistiques, comme le journal La Fraternité, fondé en 1841 par Richard Lahautière, de tendance néo-babouviste et marxiste. Ne sont évidemment pas exclus d’un inventaire particulièrement riche les textes puisés dans la production des théoriciens, des juristes et des utopistes (Saint-Simon, Cabet, Blanqui, Proudhon), qui ont accompagné l’émergence des sciences sociales au xixe siècle. L’enquête menée par Alexandre de Vitry, fruit d’une érudition dont la lisibilité reste constamment maîtrisée, s’étend jusqu’aux textes maçonniques, aux vers festifs, et même au répertoire des chansonniers, témoignant de l’ancrage du concept dans les pratiques de sociabilité.
Se donne ainsi à lire, dans cet ensemble à la fois diversifié et thématiquement concentré, une hésitation permanente entre l’ouverture vers l’humanité en général, d’ordre rhétorique ; et la fermeture, d’ordre socioculturel, sur des entités fermées comme le club, la loge, le compagnonnage, et, en ce qui concerne la littérature, le cénacle, le cercle et la coterie, qui institutionnalisent en fait une dynamique de résilience par rapport aux dérives matérialistes de la modernité. La conclusion de ce brillant essai, sans appel, confirme en tous points son titre : seule la fraternité élective rassemble effectivement les « frères humains ».

Jacques Marx

Le prix international de littérature française

reiss un dedale de ciels

Le prix international de littérature française récompense le poète français Benoit Reiss pour Un dédale de ciels (Arfuyen).

Cette année, l’Académie a décerné pour la première fois le prix international de littérature française, doté de 2 000 €. Ce prix international récompense alternativement un recueil de poésie, un roman et une pièce de théâtre et ce, pour une autrice ou un auteur francophone âgé de moins de 50 ans, quelle que soit sa nationalité. Pour cette première édition, c’est la poésie qui était à l’honneur.

Extrait de l’argumentaire du jury :

C’est à l’unanimité que le jury du Prix international de littérature française a couronné le livre de poèmes de Benoît Reiss, Un dédale de ciels. Il fallait la poésie, la forme poétique, avec sa tonalité, son caractère sacré, pour rendre hommage à ces vivants, ces disparus, pour célébrer la vie qui fut la leur. En effet, certains des ascendants, des aïeuls du poète, ont été sauvés de la traque nazie, du fait de leur judéité, par quelques Justes auxquels ce livre est dédié. Un dédale de ciels se déploie dans la verticalité des générations, des ancêtres dont les lieux de vie, les gestes du quotidien, sont évoqués dans leur concrétude via une langue simple, claire et limpide. Le livre fait mémoire et, bien plus qu’un récit en poèmes, il constitue un récitatif. Lorsqu’on lit l’ouvrage d’une traite, dans son ensemble, on a l’impression d’une longue psalmodie, d’un psaume qui honore les disparus, qui traverse le désastre et la mort, long chant de mémoire, d’une grande tendresse, d’une grande pudeur. Certes, ce sont bien des poèmes individués, ayant chacun leur corps et leur identité, que nous lisons. Pourtant, reliés par la voix du poète, ils semblent ne former qu’un seul grand poème. Il bâtit un Tombeau littéraire qui rend hommage à leurs vies. Le poète circule entre ces générations — et avec elles —, dans une simultanéité temporelle que crée l’instant du souvenir : ces aïeux sont toujours là, perpétuellement. Et, par la grâce de la poésie, ils demeurent vivants.

Philippe Lekeuche

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