La plus abyssale des solitudes

Jeannine PAQUE

lalandeTelle était et serait peut-être encore, selon Françoise Lalande qui entend la briser, celle de Germain Nouveau, ce poète mal connu ou méconnu, qu’elle a choisi de re-connaître et faire reconnaître dans son dernier « roman », Pourquoi cette puissance… Plus une constatation qu’une interrogation, ce titre répond plus qu’il n’interroge. Elle semble sûre de son fait, elle qui a choisi de parler de ce poète dans ce qu’il a connu de plus humble. Lalande entretient depuis longtemps un commerce familier avec les écrivains, les artistes qu’elle aime, avec les poètes surtout. Elle les reçoit chez elle ou va les visiter chez eux, ou encore va les rencontrer dans des lieux insolites, réels ou de pure fiction. Les endroits les plus improbables mais aussi les plus convaincants sont évidemment ceux qui sont issus de son imagination, nourrie directement de cette perception tout intime qu’elle a spontanément de leur personnalité. Qu’elle aime et connaisse bien l’œuvre de Rimbaud l’a conduite tout naturellement à le rencontrer en personne, à fréquenter son entourage, voire à en découdre avec sa famille. Van Gogh, Dotremont font aussi partie de ses proches. Aujourd’hui, c’est Germain Nouveau qu’elle a débusqué dans son Pourrières natal (Var), qui devait être ensuite, au terme d’un périple, le lieu où il mourrait.

De Rimbaud à Nouveau, il y a peu de distance, si l’on veut. Bien que le second ne fasse pas partie des Maudits magnifiques, il les a connus et s’en est approché, peu ou prou. Rimbaud oui, suffisamment pour le suivre en Angleterre, vivre un moment avec lui, à Londres, et aussi pour se fâcher avec lui et le quitter. Mais cela reste un mystère que Lalande contourne avec circonspection dans son récit, pour conclure à une sorte d’intolérance poétique.

Le Germain – notre Germain, Lalande l’évoque par la voix d’un narrateur, devenu son ami, si possible, et même son jumeau, en quelque sorte. C’est un instituteur retraité, sorte de notable, mais un « péquenot », comme lui-même se situe parmi les autres dans le village. Bien qu’il sache et dise que le mot « gloire » est un terme excessif pour qualifier l’aura de Nouveau, il connaît le prix de ses poèmes qui, loin d’être plaintifs, mordent, sont porteurs d’une énergie poétique et l’ont persuadé de cette évidence que la poésie est politique.

Voici un « roman » où le dispositif narratif de l’évocation fonctionne efficacement, qui transporte le lecteur et le plonge dans la familiarité d’un lieu, d’une époque, pour le confronter avec ce poète écorché et écorchant que l’auteure ne craint pas de qualifier de « saint puant ». Car Françoise Lalande se veut critique-sans-gêne, à tu et à toi avec les plus grands.

  • Françoise LALANDE, Pourquoi cette puissance… ,  Avin, Luce Wilquin, 2015, 120 p. , 12 €