Kaléidoscope du présent

Serge NUNEZ TOLIN, Fou, dans ma hâte, Limoges, Rougerie, 2015, 87 p.

nunez tolinLe livre s’ouvre avec l’intention d’écrire des mots d’amour. Mais le chaos du monde actuel n’a pas favorisé l’exploration de ce terreau-là. Loin des sentiments amoureux, la langue du poète a creusé un autre chemin, profilé par l’émergence presque immédiate du titre dans sa tête : Fou, dans ma hâte.

Divisés en deux chapitres, les textes se succèdent sous forme de psaumes d’une dizaine de lignes tels des perles sur un fil insaisissable. Comme dans ses précédents livres, les questions du langage, du réel et du silence sont au centre de son écriture. Vivant, il emmène le lecteur dans une marche où les éléments naturels l’entourent. Il s’agit d’une traversée où les respirations coexistent avec sa pensée. Le son des mots porte ses paroles, ses tentatives. Il évoque l’existence d’un entre-deux, une fenêtre, une interstice où les mots sont possiblement cachés. La particularité de ce livre-ci se situe dans la puissance de la vie car « le vivant débusque les mots ».

Solitaire dans sa recherche, il n’en demeure pas moins que la présence de l’autre importe beaucoup. « Les mots pour sortir de soi et faire entrer l’autre ». Il écrit « davantage pour vivre que pour dire ». Dans cette succession de fragments en prose, il explore ses souvenirs, des morceaux de son enfance où l’Espagne et la figure paternelle occupent une place particulière. Il observe ce décalage : « entre les mots et les choses, la voix fait un pont. On y passe quelque fois en se taisant. C’est alors comme si le réel l’emportait ». Et, si l’on se tait, il y a « le silence sauvage des mots ».

La hâte qu’exprime le poète de bout en bout témoigne de sa recherche perpétuelle, de son dynamisme, de sa ferveur à dire, à trouver les mots justes pour dire le réel, eux qui sont « si peu suffisants et si peu capables de serrer les choses dans ce que nous ne pouvons dire ». Il parle de son impatience, de sa hâte, de cette folie, à la fois passagère et chronique, de vouloir « trouver la clarté avec la présence des choses ». Les questions se multiplient au fil des textes « Faudrait-il aux mots la brutalité des hommes, celle de la vie pour qu’ils soient réels ? ». Son but est clair : retrouver l’essence de l’existence, du corps et du cœur dans l’écriture, tout en étant relié aux autres. « Trouver en moi, les autres, les faire entrer ici, dans les mots que l’on serre contre soi ».

Après lecture, on retourne au début, on lit à nouveau ce livre en partageant dans l’échange cette marche, cette hâte, cette écriture d’un paysage commun, la vie.

Mélanie Godin