Un coup de coeur du Carnet
Michel ZUMKIR
Si vous voulez goûter toute l’originalité et la saveur de cette anthologie de la poésie francophone, n’hésitez pas à sauter son introduction journalistique par trop franco-française. Vous pourriez vous décourager, rebrousser chemin et rater les routes buissonnières qu’emprunte le volume. Un volume convivial comme un festin où se partagent le vin, le pain, l’amour de la vie, le combat contre les injustices et la poésie. Où chacun.e des invités.e.s est introduit.e et entretenu.e par l’hôtesse de la soirée, la journaliste et écrivaine, Françoise Siri, avant qu’il/elle offre à la dégustation quelques textes de sa composition.
Qui sont les convives de ce banquet ? Des poètes contemporain.e.s de tout âge, de toute origine sociale et esthétique, écrivant un français de France ou d’ailleurs. Un français langue maternelle ou seconde, langue écrite, orale ou langue des signes (Mathilde Chabbey) – un français nourri à la langue des poètes de différents pays, de diverses époques (« Pas de poésie sans mémoire de la poésie », Charles Dobzynski). La Francophonie poétique ici parcourue est un espace de libre circulation, un territoire déterritorialisé, accueillant les exilés et les errants (Jeannine Baude), les vagabonds (Louis-Philippe Dalembert) qui, pour faire œuvre, font corps avec la langue, la réinventent, lui livrent paix ou combat, ou, comme Silvia Baron Supervielle, la maintiennent à une distance relative, pour continuer à être eux-mêmes.
Ce panorama ne prétend pas être objectif, définitif, il est avant tout un kaléidoscope vif et subjectif d’une poésie francophone revendiquant sa place dans la société (en son cœur ou en ses marges), résistant « au toujours plus de fric, de compétition, de vitesse, de démagogie, de gaspillage » (Michel Baglin), une poésie vivace et bien disposée à ne pas se taire sous le joug de l’industrie culturelle. Une poésie hors-la-loi qui ne répond pas à la demande du marché, s’avère « un acte gratuit » qui « prodigue à tous ses richesses sans rien exiger en échange » (Marc Alyn).
Des portraits, nous retiendrons particulièrement comment Françoise Siri décrit les yeux, le visage, le corps et l’allure des poètes, et comment elle dit la création ; des entretiens, ses questions toujours remises sur le métier (d’écrire) : Qu’est-ce que l’écriture ? Le poète ? Le poème ? La poésie ? Pour l’une « écrire est un mode de vie : c’est être disponible à la naissance d’un poème et donc à une perception accrue du monde » (Marlena Braester), pour d’autres « la poésie est l’endroit de la vérité totale » (Pauline Catherinot), le poème, « la vérité de l’être », pour d’autres encore la condition de l’écrivain.e est de transformer « le rapport de force en rapport d’amour » (Werner Lambersy), de « changer le cœur des hommes » (Guy Goffette). Chacun.e à sa façon semble réaffirmer la phrase de Georges Perros, « La poésie est une manière d’être, d’habiter, de s’habiter ». En cela, ce panorama dépasse de loin ses objectifs. Plus qu’une enquête sur la poésie francophone du XXIe siècle, il s’avère un voyage au cœur de la création poétique, une ode à l’écriture si nécessaire dans un monde en péril (Hélène Dorion), en chaos (Claude Beausoleil).
Françoise SIRI, Le panorama des poètes. Enquête sur la poésie francophone du XXIe siècle, Paris, Lemieux, 2015, 20 €
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