Petites histoires de la folie ordinaire

Véronique JANZYK, Le vampire de Clichy, Bruxelles, ONLiT, 2015, 137p., 12€/ ePub : 5,99€

janzykCe recueil de nouvelles classé dans la catégorie de la fantasy s’ouvre sur le récit de la narratrice qui, après avoir été mordue par un vampire la nuit de la Saint-Sylvestre, rencontre une série de personnages étranges, dont elle nous livre un fragment de vie.

Contrairement à ce que le titre et le genre pourraient laisser entendre, nous n’aurons pas droit au canevas classique de la bit lit où nous assistons à la métamorphose d’un être humain attaqué par une strige et à son adaptation à l’univers des êtres de la nuit. Ici, la narratrice a effectué une recherche virtuelle sur un vampire qui a tourné dans quelques films dans les années 90. Elle lui a fixé un rendez-vous et un lien s’est peu à peu créé avec cet être qui fume la cigarette électronique, boit du thé et a des problèmes de mémoire.

C’est par les mots que vous vous étiez rencontrés, les mots écrits un peu, les mots parlés, davantage. Il vous appelait le soir. Il parlait, bien plus que vous. Ses mots coulaient dans votre oreille. Ils généraient des mots qui sortaient de votre bouche. Mais vous n’étiez pas bavarde. Vous attendiez de voir ce que ces mots engendreraient dans votre cerveau. Vous gardiez en réserve toutes ces images qui déjà naissaient et y composaient un début d’histoire. Vous attendiez. Contrairement à ce soir-là, où vous n’avez pas eu le temps d’attendre.

L’atmosphère esquissée en quelques traits, nous comprenons vite que l’accent ne sera pas mis sur la dimension à la fois érotique et mortifère propre à l’univers des vampires, mais à la façon dont les personnages rencontrés par la narratrice vont vivre l’entrée de l’étrange dans leur vie. Cette étrangeté est disséminée ça et là par petites touches, parfois tellement ténues qu’elles pourraient être lues comme une interprétation fantastique de contingences de la vie, en réalité dénuées de tout mystère. L’auteure laisse à l’appréciation du lecteur cette zone de flou où l’on se demande, comme dans Le Horla, si l’on est davantage dans un récit fantastique ou le fragment de vie de personnages basculant dans une légère forme de folie.

Le strip-tease, elle l’avait découvert par hasard. […] Elle se débrouillait plutôt bien. Elle comprit tout de suite le bénéfice qu’elle pouvait en tirer. Le regard des spectateurs agissait comme le cran de la ceinture jadis, comme le sport, la danse et la barre réunis. Elle se sentait contenue. […] Son surpoids et sa disgrâce, sa bêtise peut-être, elle les retournait comme un gant. Elle n’avait plus de ventre à rentrer. Elle était une. Une même et unique silhouette en privé et en public. Elle craignait quelquefois que ces séances ne s’arrêtent. C’était son petit alcool à elle. Son carburant incognito.

À travers un style épuré composé quasi exclusivement de phrases juxtaposées, Véronique Janzyk nous plonge dans l’intimité de personnes à l’existence bégayante, en proie à des doutes, confrontés au manque, à l’inachèvement, à l’absurdité de la vie. Elle a l’intelligence de ne pas tomber dans le piège de certains textes existentialistes parfois trop cérébraux, un brin moralisateurs. L’efficacité de son texte réside dans la simplicité réaliste avec laquelle elle présente ses personnages perdus, blessés, auxquels nous ne pouvons que nous attacher, surtout lorsque nous retrouvons à travers eux certaines de nos questions et réflexions.

Plus loin, le paysage a bien changé. Plus d’enseignes. Plus de petits magasins. Plus de fruits et de légumes pour colorer les trottoirs. Plus de banque. Plus de poste. Pourquoi s’était-il imaginé qu’ici, il en resterait quelque chose quand, ailleurs, les commerces et les services de proximité ont disparu ? La ville délaisse la périphérie pour concentrer ses efforts dans un grand chantier censé faire revivre le centre-ville. La rue de l’école. L’école a disparu. Ne reste que le nom. Le parc, toujours là. Les fenêtres de la maison communales occultées. Le bâtiment de la Police. Le mot Police usé.

Ainsi, nous nous laissons entraîner avec une grande facilité dans cette galerie de personnages singuliers : un acteur pétri de TOC retranché chez lui, une femme qui croit parler à un être cher à travers un autre homme, un père de famille qui se filme mais ne se reconnaît pas, un policier fatigué qui a l’impression d’avoir déjà tout vu, etc.

Sa vie sociale est moribonde. Trois amis lui ont téléphoné au cours de l’année écoulée. Il en a rappelé un. La communication se fait ténue. Le fil entre lui et les autres s’allonge comme un fil d’araignée. Tant de résistance. Un jour, il va casser. Un jour, ils n’auront plus de mots. Le silence sera simultané.

Comment ne pas être touché par eux et par tous les autres ?

Séverine RADOUX