Philippe LAMBERT, Le Collectionneur de soupirs, Neufchâteau, Weyrich, coll. « Plumes du Coq », 2015, 180 p., 14 €/ePub : 9.99 €
Le Collectionneur de soupirs commence par une transgression, un soir de deuil. Le matin, le narrateur a enterré sa mère. Le soir, il a rendez-vous avec des prostituées de luxe ou de bas étage dans une sorte de défi au temps qui passe et à ses morts. Des morts qu’il collectionne comme il collectionne les soupirs orgasmiques des amours tarifés, entre sperme et cyprine. Parmi ses disparus, son père omniprésent et sa passion pour les disques et livres classiques afin de se donner l’illusion de faire entrer « la grande culture » dans ses murs, mais aussi pour les trompe-la-mort oubliés de la Formule 1 de l’entre-deux-guerres. On notera au passage que l’auteur, Philippe Lambert, a publié précédemment un essai intitulé Pilotes de Formule 1 – L’épreuve des hommes (Calmann-Lévy, 1993).
Retranché dans la maison de ses parents, le narrateur, indécrottable romantique comme son père, vit dans le souvenir de ses parents et de l’existence qu’ils ont menée au Congo. Sont également évoquées les faits de résistance de sa mère durant la guerre. Cet univers poétique de la nostalgie poussée à l’extrême se vit jusque dans les moindres détails, par exemple le culte d’un vieux stylo Pelican paternel à l’encre bleu azur ou la recherche d’une Harley-Davidson Fatboy FLSTF de couleur noire. Roman référentiel, Le Collectionneur de soupirs multiplie les allusions, notamment au cinéma, avec La rose pourpre du Caire, L’homme qui aimait les femmes, La traversée de Paris et surtout Un singe en hiver, dont le narrateur s’amuse à imiter les héros.
Professeur de psychologie sociale à l’université, le narrateur enseigne tout le contraire de ce qu’il vit. Âme fragile, solitaire mélancolique, il se cloître dans l’univers suranné de ses parents. Ses seules sorties le poussent vers le Mermoz, un café où il croise une galerie de consommateurs éméchés, et vers le lit de prostituées lassées de ses jérémiades. L’alcool est amer et la chair est froide. Il est loin du partage social des émotions que, piètre psychologue, il enseigne. À travers ces déambulations, Philippe Lambert excelle à camper des atmosphères et des scènes interlopes.
Par divers dédoublements de personnalité où vie et cinéma se confondent, il décroche de plus en plus du réel, défie la société bien-pensante, se déguise, se prend pour un Robinson Crusoé urbain, provoque et agresse. Submergé par une double culpabilité, il perd son emploi, la tête et pied. Sa quête inconsciente d’une rédemption frise le pathétique et le tragique. Même quand il joue avec la lame coulissante de son cutter, il peine à s’attirer compassion et compréhension. « La vie, finalement, n’était qu’une vaste entreprise de dépossession. » Sa descente aux enfers semble sans rémission possible, jusqu’à un inattendu revirement final.
Michel TORREKENS