Une aventure hasardeuse

Daniel CHARNEUX, More. Essai – variations, préface de Geneviève Bergé, M.E.O., 2015, 181 p. , 16 € /ePub : 9.99 €               

More Invité à écrire une Vie de saint pour une collection qui fera long feu, faute de moyens, Daniel Charneux, qui avait répondu positivement à cette sollicitation, a continué le travail de recherche qu’il avait déjà amorcé et pour lequel il s’était pris d‘un grand intérêt. Il se cherchera dès lors un autre éditeur. Ce sera, selon son mot,  la « biofiction » du saint de son choix, Thomas More, ami d’Erasme, grand chancelier d’Angleterre sous Henri VIII, décapité sur l’ordre de son roi pour avoir refusé de reconnaître son autorité religieuse anti-papale, et ensuite canonisé au sein de l’église catholique.  Pourquoi avoir choisi ce personnage, inattendu à côté des vies de saints qu’il a pu déchiffrer lors de ses études de philologie romane, quand prévalaient encore les  lettres médiévales ? Daniel Charneux s’en explique en toute simplicité : c’est une série de petits incidents survenus dans son enfance qui le lient à cette figure étonnante, fût-ce, par exemple, la rencontre de son nom,  de deux de ses portraits et de sa notice dans son premier dictionnaire Larousse. Le tout lié au souvenir de son père, de l’école, et de ce moment de la découverte du monde.

L’auteur annonce la couleur lorsqu’il dit dès l’abord qu’un écrivain nourrit ses romans de sa vie. Ce qu’il ne manquera pas de faire ici, même si cet écrit n’est pas un roman et probablement a fortiori parce que ce n’en est pas vraiment un. Il prend soin, d’ailleurs, de noter en sous-titre « Essai  [et il ne cessera de se référer à Montaigne] – variations », soit la liberté qu’il se donne de sortir d’un parcours traditionnel. Sa démarche sera donc résolument impressionniste et son livre composé de « deux strates géologiques ».

More et moi écrivant sur More, peu à peu cernant mon sujet, l’abordant par touches successives. J’avais évoqué, au début de mon parcours, une démarche impressionniste. Et c’est bien de cela qu’il s’agit. Impressionnisme de la technique « par petites touches » et, plus fondamentalement, impressionnisme de la conception, de la vision : More n’existe pas. Il n’est, dans ce livre, que l’impression reçue par moi, son reflet dans ma pereption, mon regard, ma pensée. 

 Cette option a probablement été le préalable, comme nous l’indiquent les premières approches du sujet. Charneux retrace les étapes de son propre parcours, hors More, si l’on peut dire, puisqu’il s’agit de sa vie, avec précisions biographiques le concernant, de ses lectures, de ses écrits. Il fait ensuite une lecture approfondie du scénario de Jean Anouilh, Thomas More ou l’homme libre, qui sera publié après sa mort. Il commente abondamment ce texte, comme s’il s’agissait d’un témoignage fiable, bien qu’il y repère des erreurs par rapport à la vérité historique. Il fait alors référence à Anne Staquet, une spécialiste de l’histoire des utopies, et notamment de L’Utopie de Thomas More ; à ses ouvrages et à ses entretiens.

Plus convaincante est la partie de l’essai où Daniel Charneux collationne des documents comme les premières biographies rédigées par les descendants de More et surtout le portrait tracé par Erasme. Tout aussi important, le commentaire qui suit d’Utopia  et des derniers écrits de prison. Revenant à son propos d’écrire un essai avec variations,  l’auteur peut terminer par des considérations avisées sur sa méthode, sa réception personnelle de ses lectures et de cette expérience. Et conclure par une adresse au lecteur : « Le vrai More est dans mon bureau ». Ce qui fait quelque peu penser au « roman de ma recherche » tel que le définit Diane Meur à propos de La Carte des Mendelssohn.

 Jeannine PAQUE