Archives par étiquette : biofiction

Dans les pas de Van Gogh

Un coup de cœur du Carnet

Stéphane LAMBERT, Van Gogh. L’éternel sous l’éphémère, Arléa, coll. « La rencontre », 2023, 120 p., 17 €, ISBN : 9782363083241

lambert van gogh l eternel sous l ephemereAprès L’apocalypse heureuse, une fiction couronnée par le Prix Rossel 2022, après ses derniers essais Paul Klee jusqu’au fond de l’avenir et Être moi, toujours plus fort. Les paysages intérieurs de Léon Spilliaert, Stéphane Lambert nous offre un éblouissant pèlerinage, aussi intime qu’inspiré, dans l’œuvre de Vincent Van Gogh. Rares sont les livres qui sont touchés par la grâce. Grâce d’une rencontre, d’une plongée sensorielle dans une vie picturale dont l’auteur retrace la genèse du dedans, avec une vue qui s’apparente à celle d’un plasticien. Au plus près de la matière Van Gogh, au fil d’un texte vagabond, habité et érudit qui peut se lire comme une longue lettre adressée au créateur des Mangeurs de pommes de terre, des Tournesols, Van Gogh. L’éternel sous l’éphémère retrace le chemin de croix, l’itinérance d’un homme pérégrinant d’Amsterdam à Paris, d’Arles à Saint-Rémy et à Auvers-sur-Oise. Continuer la lecture

Divine aux deux visages

Catherine LOCANDRO, Le portrait de Greta G., Les pérégrines, coll. « Les audacieuses », 2022, 304 p., 19 €, ISBN : 979-10-252-0565-5

locandro le portrait de greta gAprès deux romans pour la jeunesse, Catherine Locandro revient à la littérature générale avec Le portrait de Greta G. Changement de public, mais point de genre : comme auparavant avec le roman pour adolescents Cassius (évocation de Mohamed Ali parue chez Albin Michel, qui a remporté le prix Première – Victor en 2021), ce sont les terres de la biofiction que l’autrice arpente ici. Elle s’attache cette fois à l’icône hollywoodienne Greta Garbo (1905-1990). Continuer la lecture

Stéphane Mandelbaum : la spoliation de la mémoire

Un coup de cœur du Carnet

Véronique SELS, Même pas mort !, Genèse, 2022, 256 p., 22,50 €, ISBN : 978-2-38201-021-1

sels meme pas mortDans le puzzle de la vie, il y a toujours une case qui manque. Surtout quand on s’appelle Stéphane Mandelbaum, qu’en quelques années, on a bousculé l’univers de la peinture et du dessin. Dans son cinquième roman, Même pas mort !, Véronique Sels reconstruit librement la trajectoire du peintre en l’immergeant dans les convulsions de l’Histoire, le point de non-retour de la Shoah. Pour affronter la vie éminemment romanesque, la fin tragique de Stéphane Mandelbaum assassiné en décembre 1986 à l’âge de vingt-cinq ans, elle met en place un dispositif audacieux que dévoile le titre. Continuer la lecture

« L’erreur d’une vie. La vie d’une erreur »

Pierre MERTENS, Les éblouissements, Seuil, coll. « Points », 2021, 475 p., 8,50 €, ISBN : 978-2-7578-8509-3

mertens les éblouissementsPour son cinquantième anniversaire, la collection « Points » propose la réédition de titres qui ont ponctué son histoire. Le roman de Pierre Mertens, Les éblouissements, y trouve sa place. Il s’est vu attribuer le prix Médicis en 1987.

Le roman met en scène le poète allemand Gottfried Benn, né en 1886 et mort en 1956. Considéré comme un des écrivains majeurs de la littérature allemande du 20e siècle, défendant à partir des années 1910 une esthétique expressionniste, il s’est cependant fourvoyé brièvement en 1936, affirmant si pas des sympathies du moins une tolérance à l’égard du régime nazi dont il est quelque temps « compagnon de route ». Bien vite il revient sur cette erreur, mais il sera renié autant par les autorités que par ceux de ses pairs en littérature qui, eux, ont choisi l’exil pour lutter contre la dictature nazie. Benn est donc censuré, voué au silence avant d’être reconsidéré après la Seconde Guerre par les jeunes écrivains de ce que l’on a appelé la génération de « l’année zéro » qui redécouvrent la pertinence et la fulgurance de son œuvre, mais le questionnent aussi sur les raisons de son aveuglement passager. Continuer la lecture

Des mots aux actes, une révolution rouge qui en appelle à Rimbaud

Un coup de cœur du Carnet

Véronique BERGEN, Ulrike Meinhof. Histoire, tabou et révolution, Samsa, 2020, 340 p., 24 €, ISBN : 9782875932723

Tandis qu’on y adhère tout de suite il est difficile de qualifier dans sa totalité le remarquable dernier livre paru de Véronique Bergen. Elle l’appelle « récit » : Ulrike Meinhof. Histoire, tabou et révolution. Ce texte multiple est foisonnant. Riche, documenté puisqu’il est historique dans son principe. Suprêmement intéressant, il est aussi poétique, même dans ses moments interpellants, voire tragiques. Toujours l’action est présente, violente parfois, mais elle ne cesse pas de bouleverser. Continuer la lecture

La course en tête

Daniel CHARNEUX, À propos de Pre, M.E.O., 2020, 160 p., 15€ / ePub : 8.99 €, ISBN 978-2-8070-0242-5

daniel charneux a propos de pre meo éditionsUne bonne part des écrits de Daniel Charneux est consacrée à des évocations biographiques aussi diverses que celles de la pathétique Marylin Monroe, de l’humaniste Thomas More ou de Jane Grey, la très éphémère reine d’Angleterre. Cette fois, c’est vers le sport que se porte son éclectisme. Et en particulier vers la course à pied qui est, bien entendu, le « roi des sports » ainsi que tout sportif le professe au crédit de sa propre discipline. Avec À propos de Pre, c’est une légende de l’athlétisme américain, le champion olympique Steve Prefontaine, que Charneux ressuscite en enfilant les baskets de son narrateur Pete Miller présenté comme l’ami du coureur depuis l’enfance. Et qui partageait avec lui une même passion pour ce sport exigeant quoiqu’avec moins de réussite. Continuer la lecture

D’un roman l’autre

Nadine MONFILS, Le rêve d’un fou, Fleuve, 2019, 128 p., 14,90 € / ePub : 10.99 €, ISBN : 978-2265116313

Nadine Monfils n’a pas fini de nous étonner. Spécialiste du polar drôle plein d’humour baroque et couronnée de prix en cette qualité, elle change ici de registre. Cette fois, elle met en scène dans son dernier livre, Le rêve d’un fou, un personnage réel, le facteur Cheval dont elle cite même par moments les paroles authentiques. « Les rêves, ça chasse les larmes », nous dit-elle, évoquant la croyance de son héros. Il s’agit d’un vrai roman. Continuer la lecture

Amélie Nothomb apocryphe

Amélie NOTHOMB, Soif, Albin Michel, 2019, 160 p., 17.90 € / ePub : 12.99 €, ISBN : 978-2-226-44388-5

Amélie Nothomb Soif Albin MichelPour sa vingt-huitième rentrée littéraire, Amélie Nothomb revient avec un roman au titre minimaliste : Soif. Elle y raconte les derniers jours de Jésus, à la première personne.

Dans ses écrits autobiographiques, Nothomb révèle la place singulière que Jésus occupe dans sa vie, depuis la toute petite enfance. Figure d’identification, avec qui elle se sent « une connivence profonde […], car [elle] étai[t] sûre de comprendre la révolte qui l’animait » (Métaphysique des tubes, 2000), Jésus est aussi un modèle :

Récapitulons : petite je voulais devenir Dieu. Très vite, je compris que c’était trop demander et je mis un peu d’eau bénite dans mon vin de messe : je serais Jésus. (Stupeur et tremblements, 1999)

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Un roman de création polyphonique

Véronique BERGEN, Kaspar Hauser ou la phrase préférée du vent, postface de Charline Lambert, Impressions nouvelles, coll. “Espace Nord”, 2019, 301 p., 8,5 €, ISBN : 978-2-87568-411-0

Il faut applaudir au choix de la collection “Espace Nord” de publier le roman de Véronique Bergen, Kaspar Hauser ou la phrase préférée du vent, paru chez Denoël en 2006. Cette collection vouée à l’origine à la réédition et à la diffusion des œuvres patrimoniales des lettres belges de langue française est toute désignée pour faire une large place aux auteurs importants du temps présent et plus précisément pour accueillir une personnalité comme Véronique Bergen. Philosophe, romancière, poète, essayiste, critique littéraire et artistique, elle incarne à elle seule un ensemble, une totalité créatrice qu’a reconnus notamment l’Académie de langue et de littérature françaises de Belgique en l’élisant tout récemment. Continuer la lecture

Reine de neuf jours

Daniel CHARNEUX, Si près de l’aurore, Luce Wilquin, 2018, 342 p., 22 €, ISBN : 978-2-88253-546-7

charneux si pres de l aurore.jpgSans doute est-ce l’effet d’une influence réciproque, mais l’Histoire semble connaître auprès du public un notable regain de faveur tant au travers de  la littérature que des médias. Ainsi de nombreuses séries télévisées à caractère historique exploitent-elles, avec gourmandise et succès, des fonds littéraires anciens ou récents. Avec des choix plus marqués pour certains territoires et certaines époques. C’est certes le cas pour l’Angleterre et particulièrement pour l’époque des Tudor qui a inspiré de nombreuses réalisations comme la  série Wolf Hall par exemple, adaptée de deux romans d’Hilary Mantel et axée plus particulièrement sur la personne de Cromwell. Ce pourrait aussi bien être le cas pour Si près de l’aurore, le roman historique de Daniel Charneux  dont l’héroïne n’est autre que Jane Grey, petite fille de Mary Tudor et d’Henry VIII, dont le jeu des successions fit une reine éphémère, à l’âge de seize ans. Zélatrice sincère et inconditionnelle de la nouvelle religion anglicane, elle allait, après un règne éclair de neuf jours, se voir supplantée et vouée à la hache du bourreau par sa tante, la très catholique reine Mary 1re dite « la Sanglante », fille d’Henry VIII et de Catherine d’Aragon, future épouse aussi de Philippe II d’Espagne.   Continuer la lecture

Une aventure hasardeuse

Daniel CHARNEUX, More. Essai – variations, préface de Geneviève Bergé, M.E.O., 2015, 181 p. , 16 € /ePub : 9.99 €               

More Invité à écrire une Vie de saint pour une collection qui fera long feu, faute de moyens, Daniel Charneux, qui avait répondu positivement à cette sollicitation, a continué le travail de recherche qu’il avait déjà amorcé et pour lequel il s’était pris d‘un grand intérêt. Il se cherchera dès lors un autre éditeur. Ce sera, selon son mot,  la « biofiction » du saint de son choix, Thomas More, ami d’Erasme, grand chancelier d’Angleterre sous Henri VIII, décapité sur l’ordre de son roi pour avoir refusé de reconnaître son autorité religieuse anti-papale, et ensuite canonisé au sein de l’église catholique.  Pourquoi avoir choisi ce personnage, inattendu à côté des vies de saints qu’il a pu déchiffrer lors de ses études de philologie romane, quand prévalaient encore les  lettres médiévales ? Daniel Charneux s’en explique en toute simplicité : c’est une série de petits incidents survenus dans son enfance qui le lient à cette figure étonnante, fût-ce, par exemple, la rencontre de son nom,  de deux de ses portraits et de sa notice dans son premier dictionnaire Larousse. Le tout lié au souvenir de son père, de l’école, et de ce moment de la découverte du monde. Continuer la lecture