Olivier DEFRANCE, Lilian et le Roi. La biographie, Racine, 2015, 340 p., 29.99 €
En 2000, Olivier Defrance, alors diplômé en histoire fraîchement émoulu de l’ULB, est encouragé par ses maîtres à poursuivre un vaste travail de recherche sur la famille royale belge, dont il avait jeté les bases avec un mémoire sur Léopold Ier et le clan Cobourg. C’est ainsi qu’il se retrouve un jour dans la voiture du professeur Jaumotte, en route vers le domaine d’Argenteuil, pour vivre une rencontre qui va profondément le marquer : celle de la Princesse Lilian.
Il faut dire que le personnage est nimbé d’une aura de légende car Lilian Baels côtoya plusieurs pans successifs de la fresque monarchique belge. À 83 ans, droite comme un i dans son tailleur d’une élégance sans apprêts excessifs, la veuve de Léopold III impressionne le jeune homme. Mais elle sait l’accueillir avec bienveillance et lui faire profiter de son infaillible mémoire quand vient l’heure de faire le tour du propriétaire et de commenter tel tableau, tel trophée de chasse – sa passion –, tel meuble. Peut-être est-ce ce jour d’avril que Defrance acquit la conviction que retracer la biographie de cette femme est le meilleur moyen d’approcher la complexité du « roi collaborateur » et d’une époque éminemment troublée pour notre pays.
La rigueur que lui a enseignée, parmi d’autres, un Jean Stengers l’amène à adopter une voie médiane, dont il ne se départira pas. Ni avocat de la diablesse ni détracteur par principe, Defrance s’appuie sur les documents écrits comme oraux, et en use ainsi que d’un bain révélateur pour faire ressortir l’image la plus exacte de son modèle. Quand le cliché est flou, par trop décentré, mal exposé ou carrément raté, il le reconnaît, en parfaite honnêteté. Combien, dans cet ouvrage, d’aveux d’ignorance, parce que l’information est lacunaire ou invérifiable ? Ces blancs font toute la force de son enquête, non seulement en laissant planer le silence sur des aspects qui, s’ils étaient éclairés, verseraient dans le voyeurisme, mais aussi parce que l’insu est autrement plus proche de la vérité que l’affabulation. Defrance a ainsi vaillamment résisté à la tentation de rapporter les contes, souvent arrangés, amplifiés, exagérés de cette charmeuse de Lilian…
Pourtant, et quel paradoxe, son livre se lit comme un roman et ne se lâche pas. Si Defrance n’est pas Dumas, il est au moins un excellent chroniqueur, qui agence avec habileté sa narration, ménage les suspens nécessaires, place au bon moment les citations et les retranscriptions de dialogues, reconstitue enfin de façon organique le cours à première vue discontinu des événements.
Bien sûr, l’axe majeur de cette biographie est constitué par la guerre, le rôle et l’attitude de Léopold III et la Question royale. Mais le titre insiste sur un déplacement de focale qui sera lui aussi respecté avec cohérence. La protagoniste principale de ces pages est bien Lilian Baels, l’épouse morganatique qui dut vaille que vaille succéder auprès de l’opinion à Astrid la bien-aimée – et n’y parvint jamais. Lilian ne fut certes pas une « Princesse sans divertissement », mais le luxe (qu’elle adorait), les voyages lointains, les mondanités, le train de vie supérieur, n’évacuèrent pas de son existence les souffrances et les blessures, dont certaines restèrent toujours béantes. Defrance nous permet de saisir par exemple à quel point Lilian fut la confortable cible des quolibets de la presse anti-léopoldiste, qui préférait s’en prendre à elle plutôt que d’encourir l’outrage au souverain. Il rappelle également le désarroi dans lequel elle fut plongée quand il lui fut interdit de rentrer en Belgique pour aller assister aux derniers instants, puis aux funérailles, de sa mère. On regrettera juste que l’affaire Mertens ait été évacuée dans une note de bas de page, alors que ce moment-clé de l’histoire de nos Lettres aurait mérité un réexamen distancié.
Defrance ne signale pas non plus, au moment d’envisager de façon sociologique la réception de l’image de Lilian Baels, que chez les petites gens de Wallonie, il se racontait que Léopold III avait épousé une Allemande ! C’est du moins ce que m’avaient toujours soutenu mordicus mes grands-parents… Née d’une riche famille ostendaise, fascinée par l’Autriche, mondaine européenne, suivant son époux en terre neutre, exploratrice et chasseresse sur maints continents, Lilian Baels fut avant tout une apatride dont seul le cœur avait trouvé racine en l’homme qu’elle aima par dessus tout. Sur ce dernier point, il n’y aucun doute historique ni humain.
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