Carnets mexicains

Un coup de coeur du Carnet

Hubert ANTOINE, Danse de la vie brève, Paris, Gallimard, coll. »Verticales », 227 p., 19,50 €/ePub : 13.99 €

antoineA propos de son dernier recueil publié aux Editions La Lettre volée Pourquoi je ne suis pas devenu poète, le poète namurois Hubert Antoine nous donnait à entendre qu’il délaisserait pour un temps la poésie pour le roman. C’est maintenant chose faite. Et voici donc ce qu’il est convenu d’appeler le premier roman d’un poète, gageure s’il en est, sous la forme du journal intime de Melitza dont on sait d’emblée qu’elle mourra…

Le récit se déroule en 2006 et met en scène une jeune femme, libre et sensuelle, dont la vie sera transformée par sa rencontre inopinée avec Evo, un vagabond au charme énigmatique, qu’elle a invité à dormir chez elle dans l’intention d’une aventure. Dès le lendemain, la tragédie survient. Dans un parc de la ville où Melitza, son père et Evo dégustent une décoction hallucinogène, survient une patrouille de policiers. La violence se déchaîne et la jeune femme est sauvagement violée par plusieurs d’entre eux. L’intervention courageuse d’Evo – digne d’un film d’action – forcera le trio à fuir la ville de Guadalajara pour se faire oublier sur les bords de l’océan Pacifique. Pendant cette cavale, la jeune femme se reconstruit par l’écriture de ses carnets en même temps que grandit son attachement pour son farouche ami.

Antoine propose un roman généreux qui, au-delà des péripéties qui s’y succèdent à un rythme échevelé et de la genèse d’une passion, est aussi un portrait et une célébration de l’amour père-fille. Beau personnage en effet que ce père, Miguel, professeur d’anthropologie, devenu veuf très jeune et qui a inventé pour ses enfants une méthode d’éducation par les sens, loin des stéréotypes et que Jean-Jacques Rousseau n’eût pas désapprouvée. Sa voix discrète et précise, qui commente et recadre des détails de la narration de sa fille défunte, s’avère un procédé qui augmente de l’intérieur la puissance du roman. L’histoire d’amour est attachante aussi, qu’une invisible barrière culturelle ne permet pas de concrétiser, tant que l’Indien Evo, le chamanique sauveur, maintiendra sa mystérieuse et chaste distance. Enfin, il y a aussi, dans ce beau livre qui foisonne de musiques, de rencontres et d’amitiés, plusieurs scènes surprenantes, comme l’apparition du sous-commandant Marcos au passe-montagne noir, l’emblématique héros de la révolte aux Chiapas.

Antoine mène ainsi à bien un récit, à la fois ethnologique et exotique dans le bon sens du terme, qui embrasse, sans aucun cliché, dans une langue riche, la saveur et la complexité du pays fascinant et brutal où il vit depuis presque vingt ans.

Magnifiquement documenté, tant pour ses plongées au cœur des diverses insurrections qui ont bouleversé l’histoire du Mexique que pour les subtilités de sa gastronomie, Danse de la vie brève, dont le titre fait référence à une composition de Manuel de Falla, est un roman lyrique et léger, dont le poète qu’est resté Hubert Antoine n’a certainement pas à rougir.

Karel LOGIST

♦ Lire un extrait du roman proposé par les éditions Gallimard