Aurélie William LEVAUX, Sisyphe Les joies du couple, Genève, Atrabile, 2016, 148 p., 26,50 €
Aurélie William Levaux travaille à la croisée des genres, quelque part entre la bande dessinée, la littérature et l’art contemporain. Cette Liégeoise, connue pour son travail de broderie et peinture sur tissu, nous livre Sisyphe Les joies du couple, un album hybride et atypique. Alors que ses précédentes publications étaient principalement axées sur son travail plastique, ce roman graphique fait entrer en résonance le verbe et le dessin. Son univers pictural, assez reconnaissable, fait penser à des gravures anciennes qu’elle aurait détournées pour se les approprier et leur donner un sens nouveau, plus percutant.
Le texte, axé sur les faits et proche du journal intime, contraste avec les images qui sont plus évocatrices et intuitives. Aux mots qui décrivent les événements de la vie d’un couple qui dégringole comme une pierre d’une montagne, répondent des illustrations dont le propos dépasse le factuel pour devenir universel. Alors que le texte correspond à une chronologie de l’histoire de son couple, chaque image est indépendante des autres et forme un tableau, véritable œuvre à part entière.
Aurélie William Levaux raconte une vie à deux désenchantée, entre espérance et cynisme. Son romantisme pessimiste est contrebalancé par une bonne dose de vitriol : second degré, détournement d’imagerie religieuse ou populaire, clichés décomposés, ton provocant… Aurélie William Levaux n’a pas l’habitude de prendre des pincettes.
C’est donc avec un ton explosif qu’elle traite de la difficulté de se défaire d’un amour qui, s’il est devenu une souffrance, a rendu si heureux autrefois qu’on ne peut se résoudre à l’abandonner. Pourtant, tout avait si bien commencé :
Je lui ai dit que je sentais comme un cordon ombilical entre nous. Il m’a dit que c’était normal, que c’était sa bite. J’ai pensé que c’est ça qu’avait dû dire Adam à Ève, Tristan à Yseult, mon père à ma mère. Alors j’ai voulu l’épouser. La bague au doigt, la bite au cul pour l’éternité.
L’éternité, c’est la durée du supplice de Sisyphe. Ainsi, Aurélie William Levaux dépeint le couple comme un tourment, comme un fardeau continuel. Le Sisyphe du mythe est aussi celui de Camus, incarnation de l’absurde. L’autre, le rocher, n’est là que pour pallier notre vide existentiel.
Ce vide, Aurélie William Levaux le remplit par ses créations. Infatigablement, elle dessine, peint, brode, écrit. En recousant ses blessures, elle tisse une œuvre qui sublime les tartes que la vie nous met dans la figure.
Fanny DESCHAMPS
♦ L’interview d’Aurélie William Levaux dans Le Carnet et les Instants n° 191