Oser inventer l’avenir ?

Nicole VERSCHOORE, Stéphane 1956, Édition Samsa, 2016, 204 p., 18 €   ISBN : 978-2875930637

verschooreQui est ce personnage au cœur du roman de Nicole Verschoore, Stéphane 1956 ?

Bientôt dix-huit ans, élève brillant en dernière année d’humanités, à Gand, que ses parents ne doutent pas de voir s’inscrire à la faculté de Droit, promis à devenir avocat comme son père. Une voie tracée d’avance, conforme au cercle familial rangé, conventionnel, sans effusions ni fantaisie.

Mais le jeune homme (« le gamin », dixit Papa) ne se reconnaît pas dans cet avenir imparable, moins encore dans l’idée que ses parents se font de lui. « À la maison, il n’était qu’une enveloppe, et personne ne regardait ce qu’elle contenait. »

Il se sent en marge, presque étranger chez lui, avec son goût de la solitude, sa nonchalance rêveuse, son culte des instants suspendus entre ciel et terre, vie secrète et réalité quotidienne, où l’attente frémit de tous les possibles. Instants précieux dont il s’enveloppe comme d’un cocon, qui le console du manque d’amour, d’attention, de compréhension.

Seules présences chaleureuses, complices : sa sœur Charlotte, la rebelle (qu’on aurait aimé suivre de plus près). Tante Margot, la plus douce, la plus tendre figure de son enfance, qui mourra trop tôt, mais revient fidèlement le visiter dans ses rêves. Pierre, le frère adoptif de son père, grand voyageur aux apparitions trop brèves mais exaltantes, car il apporte avec lui le vent du large, la liberté de mouvements, une joie inaltérable. Et, depuis un an, Thilo, professeur de grec intelligent et sensible, devenu son initiateur, « celui qui lève le rideau sur le monde et le savoir », mais qui se double d’un ami ombrageux, jaloux de leurs échanges confiants.

Sans oublier Nini, son professeur de ballet, qui lui a révélé l’état de grâce où peut nous porter cet art. Quand l’âme de la danse habite le danseur, qui se découvre « des possibilités infinies : de creuser en soi, d’y trouver les forces les plus profondément enfouies, d’y comprendre la vie comme dynamisme magique, et finalement, d’y rencontrer son propre Moi ».

Pour eux, avec eux, le vrai Stéphane existe, dans ses aspirations encore floues mais intenses, dans la recherche de sa vérité, ses interrogations, ses incertitudes. Dans sa passion de la danse, la musique, le théâtre.

Lors d’une fête donnée par Nini, il va rencontrer Bernard, chorégraphe et metteur en scène, qui lui adresse aussitôt un signe d’intelligence, comme s’il devinait, pressentait en lui ce qui ne demandait qu’à s’éveiller, flamber : talent, espoir. Et voici qu’il ouvre des perspectives au jeune homme, de ses stages d’été de danse et de chorégraphie à Paris, à l’engagement de jeunes pour un an dans son nouveau théâtre.

Rien de sérieux, aux yeux de Papa. Le ton monte. Stéphane s’insurge. Et, d’un seul coup, crie sa déception, accumulée au long des années ; son amertume.

Il faut partir un jour. Saisir la chance qui passe. Mais n’hésite-t-on pas à quitter les rivages familiers, étouffants mais rassurants ? À oser choisir seul son chemin ; inventer l’avenir contre les prudentes sagesses…

Francine Ghysen