La marge noire de l’enfance

Philippe LEUCKX, Les ruelles montent vers la nuit, Éditions Henry, coll. « La main aux poètes », 2016, 8 €   ISBN : 2364691435 ; La marge noire du livre, Les Déjeuners sur l’Herbe, coll. « Musique des Mots », 2016, 8 € (version lue sur CD, 5 euros)   ISBN : 9782930433417

leuckx-henryL’enfance est fragile, Philippe Leuckx le sait. La sienne et la nôtre. « On devine encore l’été avec ces reliefs d’ombre et et de lumière, ces pans livrés à l’œil qui recèle l’inédit./On voudrait jouer de cet été qui proroge ses marques ». Et, plus loin, « Mais que faire d’un nom / Qui ne soit pas celui / d’un amour perdu ? / Les ruelles sont pleines de cris de ferveurs / de rumeurs sans retour. »

Philippe Leuckx, au hasard des rues (méditerranéennes, surtout, il faut voir sa passion pour Rome), redécouvre pour ses lecteurs la délicatesse intime des choses, et nous offre des souvenirs aussi vrais que ceux que nous aurions vécus.

Les ruelles montent vers la nuit, dit-il dans cet opuscule à la forme libre, rehaussé fort à propos par une vignette de couverture d’Isabelle Clément : un paysage tout en hauteurs et gradations. Saisissant résumé de l’œuvre du poète, souvent nourrie de murs chauds, d’herbes hautes et de sentiers cachés.

leuckx-dejeunersEt puis c’est un autre poète, beaucoup plus grave, qui se présente dans La marge noire du livre. Le titre, déjà, dont il semble impossible de se dégager. La forme est contrainte (dix-huit tercets), et Philippe Leuckx nous livre là une version beaucoup plus âpre, beaucoup plus ramassée, de ses thèmes de prédilection.

On ne s’échappe pas de cette marge noire du livre, et on n’y échappe jamais non plus. Encore fallait-il montrer cette noirceur, de refoulement, de souvenirs défunts, de regrets. Le premier vers donne le ton : « les mots pèsent dans l’air » – et si la poésie n’était pas là pour apprécier la masse des mots, elle serait fort inutile. Philippe Leuckx dit aussi que « Les mots nichent en pleine terre », mais l’on devine qu’il s’agit d’une terre noire, d’un terreau où asseoir nos manques, où planter nos désillusions – pour les sublimer, probablement.

À l’avers de ce qu’il a déjà pu nous donner à lire, La marge noire du livre montre une facette plus sombre d’un poète que l’on croit connaître mais qui mérite d’être suivi, encore et encore ; avec la même attention que celle dont il fait preuve lui-même à lire les autres, car il faut certainement rappeler quel lecteur attentif et généreux il est aussi.

La marge ou les ruelles marquent avant tout son désir d’aménité, et sa compassion de notre quotidien. En cela, il est proche, et donc, universel.

Pascal Blondiau