Ronde de nuit en hôpital psychiatrique

Vincent THOLOMÉ et Xavier DUBOIS, KAAPSHLJMURSLIS, Tétras Lyre, 2016, 56 p. + CD, 14 €   ISBN: 978-2-930685-26-7

tholome-tetras-lyreJe ne sais pas s’il est encore nécessaire de présenter Vincent Tholomé. Mais dans le doute, et parce que c’est chouette, le doute, on rappellera ici que le poète est aussi performeur, qu’il est l’auteur d’une quinzaine de livres et qu’Espace Nord vient d’ailleurs de publier deux de ses textes, Kirkjubaejarklaustur suivi de The John Cage Experiences, ce qui veut dire quelque chose, d’autant plus, pourrait-on se dire, quand Jan Baetens en signe la postface – mais là on peut se demander s’il ne conviendrait pas également de présenter Jan Baetens, ce dont je ne suis pas certaine non plus, et on laissera planer le doute, après avoir levé un petit voile. (Par plaisir).

Du plaisir justement, il en est pas mal question avec Vincent Tholomé. Un amusement à s’emparer de la langue et à la découper en petits morceaux pour réaliser des collages étranges, bizarres, décalés. Une tendance joyeuse, sans doute, à laisser venir les vocables, dans un automatisme, parfois, comme délivré par le goût du rythme. Une jouissance à les dire, ces déconstructions de la syntaxe, d’un certain ordre des choses de la langue, surtout. Et on le sent particulièrement dans le dernier livre de Vincent Tholomé, KAAPSHLJMURSLIS, qui paraît au Tétras Lyre dans la collection Par ouï-Lyre. Pas anodin de se retrouver là, puisque c’est l’endroit où sont publiés les textes dits dans un format livre accompagné d’un CD.

A-t-on déjà mentionné la prédilection de Vincent Tholomé pour les collaborations? Voilà qui est fait également, et KAAPSHLJMURSLIS fait la part belle au duo que le poète-performeur forme pour l’occasion (mais il paraît qu’ils ont l’intention de recommencer) avec le musicien Xavier Dubois, dans le CD susmentionné, joint au livre papier.

Il  est sans doute temps de dire deux-trois mots sur cet assemblage de consonnes et de voyelles pour le moins incongru, en tout cas absolument exotique. KAAPSHLJMURSLIS (dites-le sans tousser) signifie “sensation d’enfermement que l’on peut parfois ressentir dans les transports en commun bondés”, en letton, apparemment. Titre on ne peut plus approprié aux yeux des auteurs du recueil, puisqu’ils l’ont écrit/composé dans le pavillon d’un ancien hôpital psychiatrique pour femmes. Ils s’y sont rendus de nuit et ont collecté notes, papiers, consignes laissés par les patientes et le personnel soignant. KAAPSHLJMURSLIS comme la proposition d’un duo qui se brancherait sur la folie. Ou pas. KAAPSHLJMURSLIS en forme de partage, de tentative de communication autre, en prise avec une réalité diffractée, intérieure, personnelle, multiple. Huit poèmes dits/performés qui s’abreuvent aux discours habillés en souvenirs, en échos, qui bruissent encore dans les couloirs, sur les murs du pavillon Lilas à Namur.

[…] il se pourrait même Majesté que si nous manquions quelqu’un + + + ou quelque chose + + + nous ne nous en remettions pas tant notre vie nous reste énigmatique Majesté et nous comme vous vous comme nous nous le savons nous aspirons à une vie remplie et nous craignons vous comme nous nous comme vous de vivre et de mourir dans l’idée sombre et négative d’avoir un jour une fois manqué quelqu’un + + + ou quelque chose + + + qui passe + + +

+ + + bien à toi Majesté + + + et bien des choses à ta dame + + +

+ + + PS: j’aimerais bien t’embrasser + + +

Vincent Tholomé balance ses mots dans les sillages de la poésie orale, mi-barde mi-médium, ce qui n’est pas complètement aberrant, s’agissant d’un poète – du moins je crois qu’ici, pour le coup, le doute n’est pas permis. Amateurs de psalmodies nouvelles, de descentes dans les lieux de la marge, des endroits où la cohérence se redistribue selon des lois libres et néanmoins pas sans contraintes mais alors juste formelles, pour le plaisir de jouer avec la langue, avec les frontières de la vie, KAAPSHLJMURSLISez sans crainte, c’est Vincent Tholomé qui vous y invite.