Éric BRUCHER, Le jour est aussi une colère blanche, Luce Wilquin, 2017, 144 p., 15€, ISBN : 978-2882535399
Quand il arrive en ville, le gang de Wolf (Lazlo, Parker, Hichie, Ginger, Markus, Zacharie) – corps mouvant des premières nouvelles du recueil et un des points de jonction avec La blancheur des étoiles, roman paru en 2014 – voudrait que les gens changent de trottoir. Que dégagent les bien-pensants, les moutons bêlant davantage qu’ils ne cogitent, les chiens qui vous cantonnent dans les cases établies ou tous ceux qui n’amènent pas leur graine de ras-le-bol à l’incandescence. Eux se muent en personnages (anti-) héroïques, chavirés – dans une langue tantôt extrêmement lyrique, tantôt cherchant à coller au plus près à leur bitume et à leurs saccades quasi fauves – et commettent leur lot d’incivilités et de graffitis rougeoyants pour faire frémir et réveiller le passant lambda anesthésié dans son confort confit. Live fast and die young est un slogan qui pourrait s’encrer sur leur peau. Jusqu’à ce que ce motto véloce et fiévreux devienne prophétique pour l’un d’entre eux.
Si les autres nouvelles contenues dans Le jour est aussi une colère blanche dessinent les contours de la ville en contrastes qui tiraillent, s’aiguisent jusqu’à la vengeance ou flirtent avec les extrêmes (entre tentation de rejoindre les rangs du djihad et groupuscules d’extrême-droite), Éric Brucher nous donne aussi à voir quelques autres lueurs. À entendre, sous la fureur sous-jacente, des bruissements plus frêles qui, malgré nos existences routinières et parfois frustrées dans la gueule dévorante du monstre urbain, continuent néanmoins à propager l’espoir. La poésie à clamer, à slamer ou dont on pourra zébrer les murs, la mise en commun des savoirs, des énergies et des luttes autour d’un potager menacé par la construction d’un parking. Ou tout simplement la promesse d’un ventre gonflé protégeant un petit être encore à naître et signant une rédemption pour l’un des personnages, précédemment emprisonné.
Il s’agira peut-être alors pour chacun, au sortir de sa lecture, de faire sienne ou non la phrase d’Albert Camus, recopiée sur le panneau en carton de Suzan, qui croit encore qu’« il y a de la beauté à protéger. Qu’il y a une certaine idée du monde et des hommes à sauver » : « Je me révolte donc nous sommes ».
Anne-Lise Remacle