« Vivre dans un pays enfant raconteur d’histoires »

Luc BABA, Belgiques, Ker, 2017, 128 p., 12€/ePub : 5.99 €, ISBN : 978-2-87586-217-4

baba belgiques.jpgNous vous l’avions annoncé dans le numéro 193 du Carnet et les Instants (janvier – mars 2017), Ker Éditions lance une collection inédite, pour laquelle chaque auteur est convié à écrire une dizaine de nouvelles pour donner à lire l’essence de « sa » Belgique. Sont déjà annoncés, pour s’inscrire dans le droit fil du livre de Luc Baba qui nous occupe ici, un volume d’Yves Wellens et un autre de Françoise Lalande.

Qu’est-ce qui nous habite comme sensation tangible de notre contrée ? Qu’est-ce qui, au-delà des archétypes folkloriques, nous paraît faire sens pour parler de là d’où on vient ? Comment éclairer d’un jour nouveau ce commun qui nous rassemble dans les limites d’un territoire ? La Belgique serait-elle juste un pays d’hommes et de femmes au crâne vide, comme l’assénait Baudelaire ? Ou bien une femme faussement laide, comme la Léonie du Franz de Jacques Brel ? Ne dissimulerait-elle pas bien plus de profondeur que ça ?

Luc Baba emmaillote ses dix tableaux dans un mélange de cieux bas chers à Verhaeren et de mélancolie des charbonnages, « un jus d’entrailles mâchées dont le diable lui-même ne nourrirait pas ses poules ». Fait siennes les particularités de nos mots d’ici qui bringuebalent entre Sambre et Escaut, entre « Oufti ! », « kiquer » et ce verbe orange envahissant d’avant 1831 qu’on tient à inculquer aux enfants. Laisse à chaque fleuve ou ruisseau le loisir de couler poétiquement sans occulter ce qui grince dans le crâne percuté de Monsieur Delbouille, ce qui se fendille dans notre fameuse brique dans le ventre.

Chacun tente de faire avec ce qu’il a : la vieille Louise – qui en a vu d’autres mais a le cœur pas mal troué – bougonne avec tendresse contre un gamin hollandais venu se perdre sous ses jupes un jour noir mais fond quand il lui redessine La drache. Justine, tout juste diplômée, veut fuir ses souvenirs et ce pays en vase clos mais retrouve le goût de chez elle au Bénin, entre une gaufre qu’on émiette et un transistor qui diffuse Adamo. Tintin, en mission spatiale craint de manquer d’air et sa lettre à Haddock a tout d’un plaidoyer bienveillant pour un certain colonialisme : autant vous dire qu’il se fait tirer les bretelles ! Sid, migrant depuis de la lointaine Nouadhibou, a au départ bien peu d’égards pour notre Pays de cocagne, Pays de fous. Entre deux cafés d’Ostende jadis supposément écumés par Marvin Gaye, ses amis lui transmettent un peu de ce liant infime qui nous tient un peu plus au chaud. Lui font vivre un de ces petits matins blêmes où, « la fête en lisière des yeux », surgit ce qui rend la Belgique sacrément humaine.

Anne-Lise Remacle