Haut les cœurs, Amédée !

Michel GOLDBLAT, Ce qui manque à Amédée, Mols, 2017, 249 p., 19.50 €, ISBN : 978-2-87402-236-4

goldblat ce qui manque a amedeeIl y a vingt ans déjà, Michel Goldblat avait publié chez Plon D’amour et d’ordure que l’on avait pu qualifier d’ « ébouriffant ». Il revient avec Ce qui manque à Amédée, un roman à l’humour drolatique sous forme de parcours initiatique découpé en courtes séquences chronologiques progressant de la naissance à l’âge adulte dudit Amédée.

Ce qu’il lui manque ? Un cœur. L’organe. Il est né sans – miracle de la médecine. L’organe et ce qui l’accompagne surtout : émotions et sentiments. Le prénom choisi par ses parents aurait dû le prémunir de ce manque, qui signifie « aimé des dieux ». Sauf que, par une cruelle ironie, ceux qui se sont penchés sur sa conception se sont bien moqués : Amédée n’a donc pas de cœur, privé de ce battement organique intérieur et des émois qui font vivre vraiment. Ceux des autres le laissent également indifférent, des données dont il prend acte mais qu’il ne comprend pas. Comment vivre donc en cette absence, a fortiori dans un monde où, de plus en plus, seule compte l’émotion ? Cela a ses avantages : un calme olympien, jamais d’épuisement (il aime courir), une légèreté qui le fait s’envoler au-dessus du monde dans des rêves suaves. Mais, il s’en rend compte progressivement, cette absence d’émotions confère également une absence de cohérence dans sa vie, ne vivant que des séquences sans lien entre elles.  Amédée est par exemple incapable de pleurer, sauf à avoir le vin triste. Et à vingt ans, le bilan est terrifiant : personne ne l’aime parce qu’il n’aime personne – hormis sa mère quelque peu oppressante, la brave Madeleine. Après avoir songé à se suicider, Amédée décide de partir, voyage ou vacances : il doit sûrement y avoir moyen de mener une vie meilleure, pense-t-il. Il part en quête d’un cœur, en quête d’amour et de métamorphose – après qu’il a pu croire reconnaître son battement intérieur dans la musique techno. Mais comment ça marche, les sentiments ? Ne les connaissant pas, il s’agit de faire comme. Or cela ne s’improvise pas, et Amédée fait des efforts pour apprendre, met du cœur à l’ouvrage. Erreurs et corrections, il cherche courageusement autant que maladroitement (et donc drolatiquement) dans les conversations de restaurant, les télé-réalités, publicités, rencontres de trams, matches de foot…  Un périple initiatique. À force de faire comme, il se taille la réputation d’un homme de cœur (ce qui est déjà une manière d’en avoir) – tandis qu’il observe que nombreux sont ceux qui ont un cœur et n’en font rien. Il en trouvera, des cœurs, même si ce ne sera pas nécessairement comme il l’espérait. Jusqu’à ce que quelqu’un… lui donne le sien. Bien sûr,  on se doutait depuis longtemps que l’histoire finirait bien.

Michel Goldblat réussit ce tour de passe-passe de parvenir à nous faire ressentir de l’empathie vis-à-vis d’un être indifférent et sans émois, car  l’on finit par se prendre d’affection pour notre Amédée, touché par ses maladresses, ses airs patauds et sa bonne volonté à mettre tant de cœur à l’ouvrage, désireux que nous devenons de l’encourager à aller de l’avant, à poursuivre sa quête (en même temps que le narrateur qui ne manque pas de relever son héros de ses déboires). Et l’on en vient à se dire que, finalement, il nous ressemble, Amédée, nous qui sommes comme lui également en quête d’amour ou à chercher à savoir ce qu’amour signifie. Amédée devenu notre frère… de cœur.

Éric Brucher