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Jean-Baptiste BARONIAN, Le Petit Arménien, Pierre-Guillaume de Roux, 2018, 140 p., 18 €, ISBN : 2-36371-241-7

baronian le petit armenienÀ parcourir les quatre pages que recouvre sa bibliographie, on s’aperçoit que Jean-Baptiste Baronian a beaucoup narré et conté, chez Laffont, Bourgois, La Table Ronde, Rivages, Les Belles Lettres et près de dix autres éditeurs. Qu’à travers des essais, des biographies et des anthologies qui sont aujourd’hui autant de références, il aura passé une vie à s’intéresser aux autres écrivains, parmi lesquels Simenon, Baudelaire, Rimbaud, Jean Ray, Rosny-Aîné, Gérard Prévot et une kyrielle de fantastiqueurs connus de tous ou, plus souvent, de lui seul. Qu’il a écrit pour les bibliophiles, les amoureux de Bruxelles, les enfants, les polardeux. Mais que jamais encore il ne s’était livré.

Et voici qu’un mince volume paru chez Pierre-Guillaume de Roux nous révèle un auteur à la sensibilité contenue et sobre dans son expression, mais profondément vibrante. Alexandre, ainsi s’appelle le chenapan qui honore l’étymologie de son prénom (« l’homme sans loi ») par ses effronteries et son refus de l’autorité. Il n’est pas violent, non, mais préfère se maintenir comme dans l’en dehors de la rigoureuse discipline que comptent lui imposer les jésuites du collège qu’il fréquente, dans la commune bruxelloise d’Etterbeek. Rester à l’étude, alors que dehors, dans la cour de récré, il y a un ballon et vingt paires de guiboles qui vous attendent pour disputer le match du siècle ? Pas question.

Mais la différence du jeune garçon n’est pas seulement comportementale. Selon toute vraisemblance, il est né avec. Il la porte dans ses gènes et ses gênes, et ce patrimoine homophonique lui a été transmis, tout comme d’ailleurs le rapport particulièrement ambigu qu’il entretient avec le langage… Un mélange de fascination et d’incompréhension face aux mots biscornus et aux expressions sibyllines qui fourmillent à ses oreilles (« génocide », « dashnag », « Boule d’or », « creuser une idée », « débecter », « blonde platinée », etc.), et qui lui jouent parfois de bien vilains tours. Ainsi, l’une des scènes les plus émouvantes du récit – et qui mériterait de figurer dans un florilège, encore à faire, des plus belles pages mettant en scène des cancres – est celle où le garçonnet met toute sa bonne volonté à comprendre une leçon sur la papyrologie, donnée avec exaltation par un père passionné d’Égypte. Puis il s’applique à écrire une rédaction sur le sujet, qu’il juge très bonne pour s’être tant investi. Mais la frustration lui cingle les joues et y imprime le rouge de la honte quand le professeur, depuis son estrade, révèle en quelques coups de craie sur le tableau qu’Alexandre a, pendant tout l’après-midi, été convaincu que l’on parlait de « papier russe »…

Outre ces scènes individuellement vécues, c’est tout un univers familial qui resurgit aussi : un père qui travaille dans une chocolaterie et passe des soirées dans son fauteuil à chercher Radio Erevan ; une sainte femme pour mère, qui reprise et coud afin d’offrir à son fils adoré des places pour le concert exceptionnel de Katchatourian ; un frère et une sœur, parce qu’il faut bien trouver quelqu’un avec qui se chamailler une fois l’école finie… Les amis ? Jaloux souvent, méprisants parfois, vicelards aussi, envers un Alexandre qui est tout sauf rancunier.

C’est donc, avec tout ce que le terme comporte de cruel mais aussi de délicat et de léger, l’enfance, la sienne comme celle de n’importe quel exilé, que Jean-Baptiste Baronian ose dévoiler, sous couvert de « roman », dans des pages qui resteront parmi les plus touchantes de son œuvre.