Vincent ENGEL, Maramisa, Escales, coll. « Domaine français », 2018, 521 p., 21.90 € / ePub : 14.99 €, ISBN : 9782365693592
L’œuvre de Vincent Engel s’élabore selon une architecture audacieuse et ambitieuse, à l’exemple de la cité mystérieuse au cœur de ce roman ample : Maramisa. Ses livres s’emboîtent telles des matriochkas, les unes en contenant d’autres, pour aller s’amplifiant. Les lecteurs assidus d’Engel se souviendront que le roman Maramisa se trouvait en germe dans une nouvelle lauréate du Concours de Nouvelles de Radio France Internationale (RFI), publiée en 1993 (!) dans son premier recueil : Légendes en attente. Longue genèse que le lecteur peut découvrir sur le site du roman, où Vincent Engel propose des prolongements à son livre, en mode réalité augmentée : vidéos, musique, iconographies, textes divers, FAQ, forum, rencontres, etc.
Si ses romans se déploient tantôt dans les arcanes de l’Histoire, tantôt dans celles de généalogies familiales, voire dans des sciences fictions post-apocalyptiques, Maramisa relève davantage d’une dystopie, un récit dépeignant une société imaginaire organisée de telle façon qu’elle empêche ses membres d’atteindre le bonheur, une utopie qui vire au cauchemar.
Le roman démarre d’une manière on ne peut plus simple, avec la présentation du narrateur : Charles Vinel, allusion à un double possible de l’auteur à travers la contraction de ses prénom et nom. Vinel, premier pseudonyme utilisé par Engel qui, comme Pessoa, aime recourir aux hétéronymes. Pas étonnant dès lors que Vinel soit, comme Engel, professeur d’université et écrivain. En décrivant son quotidien de chercheur, Vincent Engel s’amuse à raconter les coulisses d’une alma mater et les rivalités qui peuvent l’animer.
Jeune universitaire chargé de cours en archéologie, Charles Vinel a consacré sa thèse à la thanatopraxie, la science des techniques de momification. Ses recherches retiennent l’attention d’un mystérieux milliardaire au patronyme révélateur : Hermann Kopf. Deux objectifs obsèdent celui-ci : vaincre la mort, tuer le temps et… ressusciter Maramisa, la civilisation perdue qui donne son nom au roman, nom imprimé sur la couverture en caractères romains et dans une écriture inconnue dont on devine que le philologue Engel a pu jouer à en imaginer la graphie. Vinel la retrouvera dans d’autres textes : ceux d’un cantique et d’un talisman, qui aideront le jeune archéologue à reconstituer l’histoire de Maramisa à la suite d’un patient décryptage. Convaincu que le secret de l’éternité se tapit dans les entrailles de la cité disparue, le magnat engage Vinel comme Scientific and Artistic Advisor, et le charge de retrouver le site millénaire, localisé dans un pays soumis à un régime autoritaire, quelque part en Asie centrale. Vinel se rend sur place et y vit une expérience de haute solitude, ensorcelé par ces lieux désertiques où une nécropole jouxte mansardes et palais.
Sur place, il rencontrera surtout Fiona, authentique Marami aux yeux gris, héritière de l’histoire d’un exil éternel et de l’attachement d’un peuple éparpillé de par le monde.
Autre personnage essentiel : Frederico Cairano, qui réalisera l’une des mégalomanies de Kopf, un spectacle grandiose dans un « resort » touristique, à l’image de Macao. Un double de Franco Dragone qui apporte une dimension nouvelle au roman née de la collaboration bien réelle de Vincent Engel avec le chorégraphe louviérois.
Figures étranges et inquiétantes, indices multiples et fausses pistes, textes codés à déchiffrer, situations futuristes et paysages ancestraux, nombreux personnages secondaires fascinants : ce roman d’aventures et d’imaginaire se présente comme un page turner dont Vincent Engel maîtrise la narration et les rebondissements à la manière d’un Armel Job.
Confiné entre, d’une part, une cité inaccessible, souterraine, à l’architecture organique et, d’autre part, une ville futuriste, démentielle, Charles Vinel, séduit par un Kopf manipulateur, charismatique, excessif, narcissique, tâche de percer ses secrets et découvre une histoire terrifiante à laquelle il n’est pas étranger…
Michel Torrekens