Intemporelle Passion du Christ

Gérard ADAM, La Passion selon Saint-Mars, M.E.O., 2018, 199 p., 18 €, ISBN : 978-2-8070-0171-8

Gérard Adam, à côté de son œuvre de nouvelliste, de direction des éditions M.E .O, qu’il a cofondées, ou de traducteur de poésie et romans bosniaques ou croates (aux éditions M.E.O.), propose en cette rentrée littéraire son dixième roman. Gérard Adam qui, comme le mentionne la quatrième de couverture de La Passion selon Saint-Mars, continue de piocher dans les interrogations qui sous-tendent son œuvre d’agnostique imprégnée de religion chrétienne.

Suite à une rixe au café ‘L’Estaminet’ où se retrouve régulièrement le village de Saint-Mars niché au cœur de paisibles Ardennes wallonnes, voilà qu’un ancien lance un défi à une jeunesse bruyante et jugée incapable de construire quelque chose. Car les anciens, eux, savaient y faire, paraît-il : ces Passions du Christ, par exemple, qu’ils montaient antan avec la collaboration de tous. Chiche ? Et voilà que les jeunes et avec eux l’essentiel du village se transforment en Saint-Martiens, presque des extra-terrestres par les temps qui courent, à mettre en scène pour Pâques prochaine un mystère au sens médiéval du terme, une représentation théâtrale de la Passion du Christ. Dans cette aventure, chacun trouvera son rôle évangélique, Marie, Jean, Marie-Madeleine, Nicodème ou Ponce-Pilate. Quant au Jésus, un étranger de passage, ou presque – il semble un randonneur qui se serait arrêté quelques temps -, conviendra parfaitement. Il est d’origine palestinienne, d’une beauté fascinante, et se nomme précisément Yeshua, mais que l’on abrège en Jess… Or les répétitions qui se mettent en place autant que la présence incandescente de ce Jess ‘philosophe des bois’, occupant la baraque abandonnée d’un certain Baptiste, réinterprétant l’Évangile à sa mode et générant un mouvement de rebiffade auprès des femmes, voire un désordre plus général, vont bouleverser et transformer les protagonistes. Car c’est aussi comme si les événements de la Passion se déroulaient et dans le spectacle et dans la vie réelle du village où ils auraient trouvé leur écho. Jusqu’à ces menaces que semble créer le spectacle au niveau des hautes autorités ecclésiastiques ou aux yeux des traditionnalistes du cru.

Si Jésus revenait, que se passerait-il donc : qui ne s’est jamais posé la question ? L’occasion en tout cas pour l’auteur de relire les Évangiles, d’en signaler les contradictions et les vérités dans une adaptation à notre époque. Et force est de constater, selon ce qu’en montre Gérard Adam, que cette histoire de Passion et cette geste presqu’épique du dénommé Jésus vieille de deux mille ans conserve toute son actualité. Relecture sans bigoterie, mais avec une intelligence curieuse, respectueuse et admirative. Avec humour aussi, notamment au travers de cette relation de perpétuelle chamaillerie entre le curé polonais Stanislas et le vieil instituteur athée surnommé Socrate qui ne peuvent pourtant se passer l’un de l’autre, et qui rappelle quelque part  l’univers de Don Camillo. Quand ce n’est pas Lucette, pasionaria des carrières aujourd’hui fermées qui avaient fait la vie du village, et son évangile selon saint-Marx !

Un livre qui, au final, avec sa verve pseudo-régionaliste donne à désirer relire de manière étonnée les Évangiles et peut-être aussi à envier ce que peuvent générer ces solidarités villageoises mobilisées autour de projets ou représentations collectives (car certes il en existe !).

Éric Brucher