Lettre à ma mère

François TEFNIN, Est-ce que tu as la clé ?, Murmure des soirs, 2018, 138 p., 15 €, ISBN : 978-2-930657-45-5

La perte d’un parent – père ou mère – est bien entendu courante et « logique » : les plus vieux s’en vont les premiers. On salue une dernière fois cet être qui nous a élevés, aimés, choyés. Parfois, le temps des adieux s’allonge et peut durer quelques années. La vieillesse guette chacun d’entre nous. Certains s’éloignent en un éclair, sans prévenir. D’autres font durer le plaisir. Toutefois, leur état ne rime pas toujours avec éclat et s’accompagne souvent d’une perte progressive des repères, de la mémoire et/ou des facultés motrices. La maison de retraite devient une issue inévitable. Et les enfants, sur qui la mère a veillé toute sa vie, se retrouvent dans la posture obligatoire de devoir veiller à leur tour sur leur propre génitrice. Les rôles s’inversent. François Tefnin dédie Est-ce que tu as la clé ? « à toutes les mères qui, au crépuscule de leur vie, se morfondent derrière les murs de maisons de retraite, dissimulées aux regards. Parfois même à leur propre vue. »

Le narrateur raconte les dernières années de vie de sa mère. Comment il a dû faire face, avec sa sœur, à l’impossibilité de la laisser vivre seule chez elle. Une chute de trop et le placement devient obligatoire, pour sa propre sécurité et pour son bien. Mais la pilule est difficile à avaler. Non, la mère veut rester chez elle, essaie de résister, puis, les forces manquant, se résigne peu à peu. Une phrase toutefois, aussi rituelle qu’obsédante, revient sans cesse, à chaque visite de son fils : « Est-ce que tu as la clé ? ». A-t-il la clé de sa maison qui ne se trouve qu’à quelques pâtés de maisons de là ? De son chez-elle qu’elle chérit tant et lui manque atrocement. Ce lieu où elle a passé cinquante-cinq années de sa vie. Que lui répondre ? Comment tempérer les choses, lui changer les idées ? Comment ne pas culpabiliser quand la décision de l’« enfermement » est la vôtre ? Le narrateur bouscule son emploi du temps pour pouvoir rendre visite à sa mère chaque jour, seul point de repère de la vieille dame dans ses mornes journées. Il porte au jour le jour son fardeau avec détermination et apprend tout du langage des parents : diplomatie, ruse, autorité et temporisation. Il y a quelques occasions de sourire, comme quand le compagnon de sa mère vient lui rendre visite le dimanche. Mais ces instants plus légers sont de courte durée. Le narrateur redoute toujours plus le moment du départ, là où la culpabilité est à son climax. Peu à peu, sa maman perd ses repères, est de moins en moins active, jusqu’à ne plus se déplacer qu’en chaise roulante et à intégrer l’unité spéciale pour les personnes les moins valides et les plus désorientées. Elle montre parfois une face d’elle, entre terreur et agressivité, que son fils n’avait jamais connue ni même imaginée. Elle nage dans un vague à l’âme tel un poisson rouge qui ressasse ses ronds dans l’eau. Mais le fils l’accompagnera, coûte que coûte, jusqu’à la fin. Toutefois, on a beau se préparer à ce moment-là, se le raconter, quand il arrive, il vous foudroie.

François Tefnin profite de ce récit pour dresser le portrait des maisons de retraite, ces lieux où le temps semble suspendu. Malgré quelques instantanés de douce absurdité ou de joie, comme le bonheur que procure la venue de la coiffeuse deux fois par mois, ces lieux ressemblent davantage à des mouroirs. On n’y attend plus que la mort. Les visages se succèdent. La sélection progressive opère. L’auteur dénonce également le manque cruel de personnel qui règne dans ces lieux, ce qui provoque parfois des situations dangereuses pour les patients.

Au début de chaque chapitre, François Tefnin reprend des citations d’auteur.e.s qui ont écrit sur leur mère ou la vieillesse : Paul Auster, François Weyergans, Tahar Ben Jelloun, Pierrette Fleutiaux, Patrick Declerck, Céline Curiol, Pierre Pachet, Annie Ernaux, Lydia Flem, Tom Lanoye… Le roman, qui est à la première personne, s’adresse directement à la mère du narrateur, comme pour tenir le plus longtemps possible le fil qui les relie. Dans un rythme lent, avec des mots justes et précis, François Tefnin rend un bel hommage à la figure maternelle et à la relation mère-fils. Ces grands garçons se retrouvent à tout jamais chassés de l’enfance le jour de la mort de leur maman, cette personne unique et irremplaçable, celle qui les attendait toujours sur le pas de la porte :

Quand je men allais, tu restais sur le seuil de ta maison dont je ne tai jamais vu fermer la porte. Tu attendais que jatteigne le bout de la rue pour rentrer. Nous nous séparions sur un dernier geste de la main en écho. Avec un sourire. Ambivalent. Entre joie de s’être rencontrés et regret de se quitter. Nous savions que nous nous reverrions bientôt. Ou du moins, nous voulions le croire.

Émilie Gäbele