Paul COLIZE, Un jour comme les autres, HC éditions, 2019, 448 p., 19 € / ePub : 12.99 €, ISBN : 978-2-35720-462-1

Paul Colize, roman après roman, aménage son terrain de jeu, complète la carte, ajoute des villes, des lacs, des appartements, des caches et des labyrinthes. Chaque polar est le jouet raffiné et précis que Paul Colize dispose dans l’espace laissé par ses polars précédents. Il écrit comme on collectionne. Et si le lecteur se délecte toujours, c’est aussi parce que l’auteur s’amuse.
Nous nous réjouissons, au Carnet, d’assister à la patiente et jubilatoire construction d’un continent littéraire. Promenez-vous sur ce site : dans sa critique de Zanzara (2017), le précédent livre de Colize, Marie Dewez présentait Fred Peeters, le journaliste borderline, qui revient dans Un jour comme les autres, et Alain Lallemand, son confrère au Soir qui, avec Camille, la compagne de Fred, jouent un rôle prépondérant dans ce nouvel opus ; deux ans plus tôt, votre serviteur concluait sa critique de Concerto pour quatre mains (2015) en gageant que l’avenir allait nous montrer de quel bois allait se chauffer Paul Colize. Deux romans et une moisson de prix littéraires plus tard, on peut affirmer que le romancier tient ses promesses, et que nous n’avons pas fini de nous égarer avec délice dans la salle de jeux qu’il agrandit et perfectionne sans cesse.
Dans Un jour comme les autres, nous souffrons avec Emily, sur les bords du lac Majeur, de l’absence – cette absence qui est « plus douloureuse que la mort » – d’Éric, l’homme qu’elle aime. Éric est professeur de droit international à l’ULG, spécialiste des combats pour le Bien, farouche et médiatique opposant aux puissants, occultes ou cyniques, qui chaque jour font un peu plus de ce monde un enfer. Un matin, il est parti à un rendez-vous dont il n’a rien dit à Emily. Il n’est jamais revenu. Depuis, Emily compte les jours (elle a de nombreuses théories sur les chiffres), chasse ses démons, traque ses souvenirs, marche sur du vide. Rien ne la définit mieux que ce sentiment de creux, d’absence. Elle est en contact avec un webmaster qui met son site, consacré aux grandes affaires criminelles belges, à son service, mais n’est pas sûre de vouloir la vérité. Emily est prise entre ces deux meurtrissures : une vérité qu’elle ne conçoit pas, qui est certainement monstrueuse, et son ignorance qui la rend folle. Elle rencontre des gens qui l’aident à supporter le quotidien. Et surtout, elle chante. Emily est une soprano. L’opéra, s’il ne résout rien à ses problèmes, lui offre un monde parallèle, un monde où ses peurs n’existent plus – sa salle de jeux à elle.
Un jour comme les autres aurait pu être uniquement le roman de la résilience d’une jeune femme perdue, et cela aurait été déjà très beau, tant Paul Colize déploie de talent dans cette facette de l’histoire ; c’est alors qu’un personnage apprend quelque chose, un détail, troublant certes, mais rien de plus qu’un détail, un bout de ficelle. Il en parle. D’indiscrétions en chuchotements, le fil se débobine et nous emmène dans le dédale de l’autre face d’Un jour comme les autres, Fred Peeters et Alain Lallemand mènent leur enquête, chaque personnage secondaire s’ouvre comme une boîte et révèle ses trésors, et le lecteur est invité à se pencher sous la table du monde contemporain, là où s’échangent les pots-de-vin, là où les beaux discours ne tiennent plus, là où l’être humain est un peu trop humain. Le récit, d’une efficacité redoutable, ne lâche pas cette corde. Le finale est impeccable. Toutes les portes ouvertes sont refermées. Et comme on commence à connaître Paul Colize, on se prend en rangeant le livre à s’interroger : quels personnages reviendront dans le prochain roman ? Quel sera le genre musical qui lui donnera son tempo ?
Les questions qui traversent Un jour comme les autres sont celles qui nous hantent tous : comment savoir qui je suis vraiment ? Que dois-je montrer de moi aux autres ? Outre le polar, nous lisons un roman qui se penche plus fondamentalement sur le problème de la vérité, et du lien entre les humains, de cet égoïsme coupable, de cet amour maladroit. Chez Paul Colize, celui qui enquête sur les autres en apprend surtout sur lui-même. C’est pourquoi ses livres nous parlent tant.
Nicolas Marchal