Valentine GALLARDO et Mathilde VAN GHELUWE, Pendant que le loup n’y est pas, Atrabile, 2019, 176 p., 25 €, ISBN : 978-2-88923-039-6
Ça s’est passé sur un pont, mais non, pas un pont comme ça, et il n’y avait personne sur le pont et personne sur la route, il fallait le traverser…
Ce qui s’est passé sur ce pont, Mathilde et Valentine s’apprêtent à le découvrir un peu malgré elles, et cette découverte va les accompagner vers la sortie de l’enfance. Leur croissance et les questionnements qui l’accompagnent ont lieu Pendant que le loup n’y est pas.
Dans ce roman graphique de Valentine Gallardo et Mathilde Van Gheluwe réédité chez Atrabile en mai dernier, les protagonistes vont en effet vivre une initiation désagréable et forcée liée au traumatisme sociétal qu’a provoqué la disparition de deux autres petites filles dans la Belgique des années 1990. Une trentaine de courts chapitres, qui alternent des morceaux de vie de Valentine et de Mathilde, racontent comment cet événement a à jamais changé le rapport des enfants à la liberté.

Extrait de « Pendant que le loup n’y est pas » ©Atrabile
Pourtant rien n’est vraiment dit aux fillettes au sujet des enlèvements dans ce livre: il y a des paroles entendues (« On a retrouvé leurs petits corps »), des affiches placardées représentant les visages des deux disparues, mais jamais d’informations directes quant à la nature des évènements qui se sont déroulés (« Ce sont des histoires d’adultes »). Quand l’angoisse des parents est à son comble et la paranoïa des habitants palpable, la liberté des enfants se trouve réduite. Mais leur imaginaire continue de se déployer.
En effet, le récit est caractérisé par une invasion de la fiction dans leur réalité. Nous découvrons de très belles planches où les Duplo, les Petits Poneys et les Barbie se mettent à dialoguer tout en éclipsant les enfants qui les manipulent, où l’on voit Mathilde s’immerger dans un épisode du Livre de la jungle raconté par sa mère ou un personnage de l’ouvrage de prévention Mimi Fleur de Cactus… l’entraîner dans le livre malgré elle.
Et l’imaginaire est toujours bien nourri lorsqu’on a peur : le danger plane depuis le début du récit. On le perçoit dans la présence d’animaux menaçants (le chat qui tente de griffer, le sac à dos qui se transforme en crapaud), d’événements effrayants (les orages, le macadam qui se liquéfie) ou dans la mise en abîme de récits fictionnels angoissants (« Maman, arrête de faire la voix du danger ! ») qui provoquent des cauchemars chez les enfants. Ces dangers, souvent suggérés par des symboles, alourdissent encore pour le lecteur le climat chargé dans lequel les petites filles évoluent.
Les planches sont réalisées au crayon noir et à la gomme et laissent visibles des parties de dessins ou de phylactères à moitié effacés, facture qui accentue encore le rapport du récit à l’enfance. L’alternance entre des dessins en pleine page et des pages divisées en cases très régulières desquelles les personnages débordent semble mimer à la fois l’imaginaire bouillonnant des enfants, l’énergie qui les caractérise et le côté très scolaire de l’âge évoqué. Quant au choix du noir et blanc et aux thèmes choisis, ils donnent au récit un aspect expressionniste assez angoissant malgré l’apparence très ronde des personnages.

Extrait de « Pendant que le loup n’y est pas » ©Atrabile
Le thème de ce roman graphique n’est pas vraiment celui de la disparition d’enfants mais bien la réaction de tous au climat anxiogène dans lequel ils ont été plongés malgré eux. Les autrices évoquent également d’autres événements et questionnements qui peuvent être douloureux à l’âge qu’ont les protagonistes : un déménagement, la puberté et ses conséquences, la séparation des parents.
Finalement, dans ce récit, on retrouve de nombreux ingrédients du conte de fée auquel le loup du titre nous faisait penser : le dévoreur et les dévorées, la forêt, l’angoisse, mais aussi l’aventure initiatique au sortir de laquelle les personnages auront grandi. Le tout sur fond de références aux années 1990 : les pin’s, les t-shirts Waikiki, le GB et les Cornetto des vacances.
Violaine Gréant