Ni prison, ni béton. Contre la maxi-prison de Bruxelles et son monde, Collectif Vrije Keelbeek Libre et Maesltröm, 2019, 321 p., 20 €
Il est au pouvoir de certains livres de faire souffler un vent de liberté tant sur la société que sur la bibliothèque du monde. Livre-action, livre zadiste, Ni prison, ni béton décoche une salve de résistance qui, espérons-le, mettra le feu à tout ce qui nous entrave. Dispositif de textes, d’archives, de plans, cet ouvrage retrace les étapes d’une lutte toujours en cours contre le projet de méga-prison à Haren. Le sous-titre indique la teneur de l’enjeu : en s’opposant à ce projet, la mobilisation du collectif Vrije Keelbeek Libre entend récuser le monde qu’il incarne. Au-delà du combat contre l’implantation d’un gigantesque ensemble pénitentiaire sur un terrain en friche de 18 hectares à Haren, Ni prison, ni béton est solidaire de toutes les initiatives citoyennes qui refusent la bétonisation des forêts, des corps et des consciences. Qui bitume la nature, les champs, les bois travaille à goudronner les esprits.
Quelques rappels des faits. C’est en 2010 que s’est créé le collectif Vrije Keelbeek Libre afin d’arrêter le projet de construction d’une mégaprison de 1200 détenus sur un site de nature préservée à Haren. Les récits que nous lisons ont été écrits par les acteurs, les militants, les « patatistes », les Harenois, les magistrats qui dénoncent les nuisances sociales, écologiques, politiques d’un projet appartenant à la série des grands projets inutiles, imposés et toxiques. Composé d’acteurs hétérogènes qui s’unissent dans la contestation (alliance entre les voix des habitants de Haren, les voix des magistrats, celles des activistes environnementaux…), le collectif ouvre des questionnements où se nouent débats sur la fonction carcérale et sur la défense environnementale.
Dès 2014, se met en place la ZAD Keelbeek qui sera démantelée de force à trois reprises, ses occupants se voyant expulsés de manière musclée. Jour après jour, de 2010 à aujourd’hui, les présupposés, les axes et les conséquences d’un choix désastreux de société ont été discutés, évalués, dénoncés. Habitants, zadistes opposent à la gestion néolibérale des populations et de la nature d’autres modes de penser et de vivre. La volonté d’ériger sur un terrain riche en biodiversité un mastodonte carcéral censé remplacer les prisons bruxelloises de Saint-Gilles, Forest et Berkendael est l’expression d’un système qui, s’engageant dans la spirale répressive, creuse un gouffre financier abyssal en finançant une telle entreprise. Alors que partout ailleurs en Europe, on réduit la taille des prisons, cherche des alternatives à l’enfermement, la Belgique s’aligne sur l’exemple américain. Alors que, face à la crise environnementale, au réchauffement climatique, à l’effondrement catastrophique de la faune et de la flore, à l’arasement des espaces forestiers, la Région de Bruxelles-Capitale, l’Union Européenne en appellent à la préservation des zones de biodiversité et des terres arables pour l’agriculture locale, ce projet d’un autre temps saccage l’environnement, bétonne des espaces naturels, allant à l’encontre des mesures préconisées. L’intérêt privé, les intérêts financiers, la spéculation l’emportent sur l’intérêt public. Alors qu’il existe des lieux alternatifs, des espaces déjà artificialisés susceptibles d’accueillir de petites unités carcérales, l’État fédéral s’enfonce dans une logique sécuritaire, écocidaire. La ZAD de Keelbeek a expérimenté l’invention d’un autre mode d’exister, en marge de la centrifugeuse productiviste et consumériste.
Opter pour la voie répressive (au détriment de la prévention et de la réinsertion des détenus), pour le mépris de la qualité de vie des habitants et le massacre de la biodiversité témoigne d’une même logique sécuritaire mortifère. Le collectif oppose à un choix désastreux de société (marqué par un criant déficit démocratique, les riverains, le monde judiciaire n’ayant guère été consultés) une philosophie de vie respectueuse des hommes, des animaux, des arbres, sachant que ces entités n’existent qu’interconnectées. Demande d’un moratoire sur la construction de prisons en Belgique, sur la destruction des terres arables en Région Bruxelles-Capitale, mise en question de la politique pénitentiaire, déconstruction de la question carcérale, demande de classement de la friche Keelbeek, expulsions des zadistes, déforestation illégale lorsque débute le chantier alors qu’un recours au Conseil d’État a été introduit… ce livre dont on doit souligner l’importance vitale, l’urgence, déplie les archives, les photos, les appels, les mobilisations, les actions, les espoirs, le découragement, le « no pasarán » reconduit de jour en jour. Merci aux acteurs, à Maelström d’avoir réalisé cet opus que l’on se refilera comme un bâton-témoin. La lutte se poursuit. Avec plus de pugnacité encore dès lors que les bulldozers ont détruit illégalement en mars 2018 300 arbres de haute tige et des milliers de petits arbres, alors que depuis janvier 2019 les premiers pieux de béton sont coulés. Un documentaire sortira bientôt. Depuis près d’une décennie, on annonce que les jeux sont faits, qu’il faut courber l’échine. La détermination de faire prévaloir l’intérêt commun et la qualité de vie des citoyens n’a pas faibli. La décision du Conseil d’État est attendue. Résignation ? Jamais.
On fera tout pour que cette maxi-prison n’ait pas lieu. Et si jamais elle a lieu, faisons de cette maxi-prison un moyen : un moyen pour faire entendre la voix anti-carcérale, pour faire goûter aux passant.e.s ce goût de révolte auquel il est recommandé d’être accro, pour montrer la moelle pourrie de cet État qui réprime toujours plus et dont les fondations ne sont qu’argent, pouvoir et copinage.
Véronique Bergen