Charly DELWART, Databiographie, Flammarion, 2019, 342 p., 19 € / ePub : 13.99 €, ISBN : 978-2-08-147971-5
Adolescent, Charly Delwart avait pris l’habitude de faire des référendums auprès de ses amis pour l’aider à résoudre les questions existentielles dont il trouvait difficilement les réponses, comme savoir s’il devait quitter ou non sa petite amie, quelles études il allait suivre… « Ça s’est poursuivi jusqu’à mes vingt-huit ans. Dix années personnellement collectives ». La démarche de Databiographie est même et autre. Pour répondre à toutes les questions qu’il se pose – et elles sont nombreuses, ces questions ; « J’ai question à tout », dit-il – sur son identité, sa personnalité, son individualité, il a décidé de se servir de données (datas) collectives ou personnelles, d’en faire des graphiques et de les illustrer par des commentaires, des souvenirs, des réflexions, des histoires communes – des faits divers.
Ainsi finit-il par dresser l’(auto)portrait d’un homme de quarante-quatre ans occidental (belge vivant à Paris), écrivain (roman et scénario), en couple, en famille (fils de, père de), bien dans son genre (cis). Portrait réel ? Autofictionnel ? Imaginaire ? Si certaines données (peu) sont scientifiques (années d’existence de la terre), indubitables (durée de son couple en 2019, nombre d’enfants, paires de chaussures possédées par type), d’autres sont des projections (nombre d’heures totales de crises d’angoisse, de rapports sexuels ; présence moyenne de boutons pendant l’adolescence) et certaines pourraient bien être de pure invention (lui seul le sait : il ne fait pas le pacte de dire la vérité, toute la vérité, il ne le jure pas).
Le procédé nous rappelle que Charly Delwart, depuis Circuit, son premier roman, s’est toujours intéressé à l’actualité : l’entreprise, les fake news, la crise grecque… Ici, il ne s’agit plus de thématique ou de sujet – le livre n’est pas travaillé par les grandes interrogations sociétales contemporaines (environnement, migrations de masse, postcolonialisme, antispécisme, néolibéralisme, effondrement de la société, etc.) – mais de méthode, de procédé. Les datas sont la grande affaire du monde numérique. Tout est mis en place pour leur collecte, leur traitement à la moulinette des algorithmes à des fins objectivement plus mercantiles et sécuritaires qu’humanistes. Charly Delwart lui, en les créant, les triturant, les amène du côté de l’être, des formes du vivre plutôt que de l’avoir ou de la surveillance généralisée. Elles ouvrent et servent l’introspection. Elles appellent du texte, des textes, retournent à la littérature, si importante dans la vie de l’auteur (« Je suis plus conscient aujourd’hui que, sans certains écrivains, j’aurais mis un temps incommensurable à être moi, et comprendre que ma vie avait justement à voir avec cela, les mots. ») Les notes inspirées des représentations graphiques sont d’une écriture moins heurtée que celle de ses autres livres, comme si elle était survenue après la crise (alors que l’on pourrait dire de ses autres livres qu’ils sont des livres de crise). Est-ce là la conséquence d’une sérénité acquise après de longues années « en analyse », années qui lui ont coûté l’équivalent d’un studio de dix mètres carrés à Paris ? Probablement. Il est évident qu’il est aujourd’hui plus libre de jouer avec ce qu’est sa vie et de l’écrire avec un certain apaisement.
Michel Zumkir