Cécile Miguel, artiste et poète hypnotique

Yves NAMUR, Cécile Miguel, une vie oubliée, Musée Marthe Donas et Le Taillis pré, 2019, 44 p., ISBN : 9-782874-50-1562

À Ittre, le Musée Marthe Donas consacre une exposition, du 23 novembre 2019 au 19 janvier 2020, à une figure de la peinture et de la poésie francophones belges, Cécile Miguel (Gilly, 1921 – Auvelais, 2001), épouse de l’écrivain André Miguel (Ransart, 1920 – Gembloux, 2008). À cette occasion, le Musée propose sur son site web un dossier pédagogique réalisé par Béatrice Libert à l’intention des enseignants et les éditions du Taillis pré publient, sous la plume d’Yves Namur et avec un avant-dire de Marcel Daloze, un catalogue très substantiel, richement illustré de reproductions, photos, manuscrits et lettres qui rend justice à cette créatrice aujourd’hui occultée : Cécile Miguel, une vie oubliée brosse le parcours existentiel de l’artiste, quittant avec son mari le Hainaut en 1947 pour le Midi de la France, où le couple, anticipant la vie bohème des beatnik, se liera d’amitié avec Jacques Prévert, René Char, Picasso et son épouse Françoise Gilot, Marcel Arland…

En 1950, Cécile Miguel reçoit le prix Paul Roux de la Jeune Peinture française. Sa première exposition a lieu à Lucerne en 1949 (Galerie d’art Le National), en compagnie de Miró et Picasso. En 1951, elle participera à « Peinture Moderne » à Vallauris, avec les amis de Picasso, ainsi qu’en 1964 à «Abstraits Wallons», à la Triennale de L’Aquila (Italie) en 1968 ou à l’exposition Phantomas au Musée d’Ixelles en 1975. Chaque déménagement dans le Midi sera l’occasion d’une évolution dans le travail pictural de Cécile Miguel, dont le couple reviendra finalement en 1964 dans un petit village de l’Entre Sambre-et-Meuse, à Ligny. Achille Béchet lui organisera au Musée des Beaux-Arts de la Ville de Mons une grande rétrospective en 1984. Comme celle de Sophie Podolski, l’œuvre de Cécile Miguel est onirique et plurigénérique. On admirera le dépouillement des premières encres de Chine et la simplicité colorée des gouaches sur papier, puis des œuvres qui furent celles, chronologiquement, de la période tachiste, lyriques voire psychédéliques, des tournoyants, des psychoscopies, des personnages filiformes, des huiles sur bois, aux couleurs vives de L’âge d’or, là je dors, de Monsieur et Madame et autres collages (comme ceux des Villes-vertiges), à base de papiers froissés, de morceaux de carton, de tissus, des rythmes perpétuels où la main de l’artiste revient inlassablement par lignes ondulées à un cercle ou un ovale laissés vide, au Mouvement perpétuel, fait de formes géométriques imbriquées les unes dans les autres, à l’écriture de L’œil dans la bouche, aux dessins et tableaux polyptiques de Contrastes-spirales pour aboutir au dépouillement des Orbes et à ces étranges « papiers blancs, pliés comme de petites enveloppes… sans destinataires », qu’elle appelle des Capteurs de lumière. L’Arbre à paroles et Le Taillis pré ont publié les recueils poétiques et récits oniriques de Cécile Miguel, qui, pendant une dizaine d’années a aussi pratiqué l’écriture à quatre mains avec André, dans une expérience de couple androgyne.

Ces œuvres, qu’elles soient plastiques ou écrites, ont un caractère hypnotique, entre sérénité zen et expressions cauchemardesques, visions intérieures ou  sociopolitiques, notamment durant la période des Monsieur et Madame. Il ne s’agit pas pour Miguel de travailler à la manière des surréalistes ni « de faire plus vrai comme les papiers collés cubistes ». Il s’agit de construire « grâce aux couleurs et aux matières d’imprimés juxtaposés, une vie grouillante où se mélangent la dérision, l’humour… un ensemble ayant son évidence plastique propre, sa rigueur même ». Si la production littéraire de Cécile et André Miguel est accessible au public, le travail pictural de l’artiste, volontairement occulté, demandait cette mise en lumière qui rend justice à une vie oubliée.

Éric Brogniet