Armel JOB, La disparue de l’île Monsin, Robert Laffont, 2020, 291 p., 20 € / ePub : 13.99 €, ISBN : 9782221246580
Plus encore que dans ses nombreux romans précédents, Armel Job a apporté des accents simenoniens à son dernier livre, La disparue de l’île Monsin. La preuve par le titre bien évidemment qui évoque Liège, la ville natale du père de Maigret, mais également une intrigue policière pur jus et surtout cette propension des deux écrivains à mettre en scène des petites gens.
D’emblée, Armel Job campe un loueur et accordeur de piano, Norwak Jordan, présenté en deux lignes qui en disent déjà long sur son profil : « … un homme en qui on pouvait avoir une entière confiance, facteur de piano réputé, membre du Rotary, père de famille exemplaire, époux d’une violoniste… ». Ce personnage central est une des composantes de la trame romanesque d’Armel Job, tout comme Simenon en accumulait dans ses fameuses enveloppes jaunes. Voici donc les ingrédients de La disparue de l’île Monsin, à côté du facteur de piano : une disparue, dont on ne sait si elle est morte, a fugué, a été assassinée ou vit une grande histoire d’amour aux Bahamas, sa mère angoissée, son frère et sa belle-sœur avec laquelle elle avait des liens ambigus, un voisin interlope de la famille, trois policiers aux profils respectifs bien typés, un foulard taché de sang, un bouquet de roses, la Meuse et l’Ourthe, Liège, Eupen et un village ardennais, plusieurs victimes de noyade pour rendre le mystère bien épais, un carton de photos et de documents dont une mystérieuse lettre…
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Une fois épinglés ces éléments, nous sommes encore bien loin du roman. Tout l’art du romancier tient dans leur agencement en une série de dévoilements qui débouchent sur d’autres hypothèses, de sorte que le suspense reste entier jusqu’à la fin. Pour ce faire, Armel Job dissèque jusqu’à l’os la vie de ses personnages, en premier lieu celle de la disparue. Le pouvoir du romancier, c’est de s’autoriser à le faire avec chaque protagoniste, chacun ayant ses failles, ses désillusions, ses défauts, ses espoirs, etc. Cela est particulièrement vrai des trois policiers qui suivent de près ou de loin l’enquête : un local, débonnaire, qui rassure plus qu’il ne met la pression, un commissaire obsédé par les « portes à refermer », comme on dit dans le jargon, alors que le romancier s’ingénie quant à lui à en ouvrir d’autres, ainsi qu’un jeune enquêteur, célibataire, Bruxellois, arrivé dans la région comme un cheveu dans la soupe. C’est sa première enquête qu’il aborde bille en tête, mû par un enthousiasme aveugle, voire une ambition disproportionnée. De sorte qu’entre lui et son supérieur, nous assistons à une sorte de Querelle des Anciens et des Modernes, concrétisée jusque dans leur physique, l’aîné apparaissant comme la « représentation du policier, baraqué et bourru, style Bruno Cremer en Maigret. Rien de commun avec Lipsky qui offrait plutôt la tournure incertaine d’un vendeur d’encyclopédie. » Comme Armel Job joue sur plusieurs registres, leur antagonisme ressort également de leur dialogue : « La différence, c’est que vous, vous espérez que Nowak soit coupable, tandis que moi, j’espère qu’il est innocent », assène le commissaire à sa jeune recrue. Le romancier, lui, approfondit la réflexion par quelques considérations sur les erreurs policières ou judiciaires, thème qui lui est cher comme l’indiquent plusieurs de ses titres précédents (Les fausses Innocences, Tu ne jugeras point, Le bon coupable, tous chez Robert Laffont…). De la même manière, on se régale du dialogue du jeune inspecteur avec un prêtre, l’abbé Wallenborn, sur le thème de la vérité et de « l’énigme impénétrable du comportement des hommes ».
Le roman est parsemé de réflexions qui apportent un niveau de lecture supplémentaire, sorte de viatique pour traverser l’existence. Exemples : « Il n’y a pas d’âge pour encaisser les passions des parents » ; « La vie, c’est quelque chose et c’est grave. Inutile de noyer le poisson » ; « Il faut sauver les apparences, la vie serait insupportable autrement » ; « La joie est parfois contagieuse, la tristesse toujours » etc.
Outre le sens de l’intrigue qui a fait le succès des livres d’Armel Job, lequel cultive l’art du feuilletonniste en concluant chaque chapitre sur un temps d’interrogation ou d’exclamation qui donne envie de se précipiter au suivant, l’écrivain aime aussi ciseler son écriture comme dans cette photo d’identité d’Éva, la disparue : « Quelque chose dans le visage d’Éva échappait à la rigidité exigée par le service public fédéral de l’Intérieur : son regard. Ses yeux écarquillés, doux, d’un bleu terne, semblaient remplis d’une étrange tristesse. Le regard, sur les photos officielles, est souvent le dernier refuge du désir de plaire. Celui d’Éva n’en avait cure, on le sentait immédiatement. Il interrogeait plutôt, comme celui des oiseaux en cage qu’on tente d’amadouer, mais qui refusent de chanter. » Quelques lignes qui en disent long sur le halo de mystère qui entoure ce personnage et qui préfigurent les relations compliquées que cette femme, 32 ans au moment des faits, entretient avec sa mère et son entourage.
Pour donner une épaisseur humaine typiquement simenonienne à ses personnages, Job puise également dans leur passé, comme dans ce passage qui décrit une balançoire dans le jardin familial, monument érigé à l’enfance perdue : « Quand il ressortit par la porte de la cuisine, la lune s’était levée. Elle répandait sa lueur terne sur la neige déjà fatiguée qui ondoyait mollement sur la pelouse. Au bout du jardin, elle allumait les carreaux de la cabane à outils et faisait luire faiblement les tubes métalliques de la balançoire. Le décor de son enfance. Il remarqua que le siège de gauche de la balançoire ne tenait plus qu’à une chaîne et pendait à la verticale. Le double, à droite, sur lequel on s’installait en vis-à-vis, était toujours intact. » Un décor hivernal ainsi qu’une métaphore de la fragilité pour camper le climax de la relation entre Eva et son frère.
Roman simenonien, nous l’avons dit, qui s’accompagne d’une topographie réaliste de la ville de Liège avec les boulevards Frère-Orban et Ernest-Solvay, le quai des Tanneurs, le pont Kennedy, la passerelle Saucy, la gare d’Herstal, le Conservatoire, et même deux adresses pour le lecteur ou la lectrice qui, tel Guy Delhasse, guide littéraire urbain, voudrait déambuler dans les lieux de sa lecture et s’offrir une pause : un café, Le Delft, sis place Cockerill, ou mieux encore, un restaurant gastronomique : L’Amuse-bouche, rue des Mineurs !
Pas la peine de dévoiler le scénario du roman. Il suffit de préciser, comme un des personnages, qu’« … une demi-vérité est pire que le silence. Une demi-vérité, c’est déjà un mensonge complet, et il n’y a pas de chemin plus difficile à rebrousser que celui du mensonge. »
Michel Torrekens