Jacques HELLEMANS, Les éditions Marabout, Bob Morane et le Québec, préface d’Henri Vernes, Septentrion, 2019, 200 p., 27 € / ePub : 18.99 €, ISBN : 9782897910617
Le livre de poche francophone est né en Belgique, plus précisément à Verviers ! Durant une trentaine d’années, notre pays a été le foyer d’une aventure éditoriale exceptionnelle, celle des éditions Marabout, dont Jacques Hellemans restitue avec soin le caractère pionnier dans Les éditions Marabout, Bob Morane et le Québec.
Jacques Hellemans commence par brosser l’histoire de ces livres de petit format, que leur coût moins élevé rendait accessibles à un large public. Cette histoire, qui débute dans le monde anglo-saxon, ressemble à une étonnante volière littéraire dans laquelle se croisent des pingouins, des pélicans, des albatros, des coqs nains, puis le marabout des Belges. L’adaptation francophone des Penguin books fut le fait de deux hommes : André Gérard et Jean-Jacques Schellens, dont la maison d’édition prit son envol en 1949, quatre ans avant qu’apparaisse la riposte de l’édition française, « Le livre de poche ». L’auteur montre que le succès fulgurant de leur entreprise est lié à une créativité constante, une intuition quant à l’évolution de la société et du lectorat, un goût pour l’innovation technique et un soin particulier apporté à la communication publicitaire. À l’aube des Trente Glorieuses, Marabout révolutionna le marché de l’édition en langue française, non seulement par le choix du format de poche et de couvertures illustrées et plastifiées, mais aussi par l’introduction de procédés marketing, devenus depuis incontournables, et par une attention nouvelle aux relations avec les libraires.
Pour toucher différents publics, Marabout choisit de multiplier les collections consacrées tant à la littérature qu’à des textes pratiques « utiles dans la vie de tous les jours ». Parmi ces collections, Marabout junior fut pensé pour répondre aux attentes d’un lectorat précis : celui des adolescents. Pour incarner les valeurs de cette collection et lui servir de porte-drapeau, Jean-Jacques Schellens eut l’idée de lancer une série originale. C’est ainsi que naquit Bob Morane sous la plume d’Henri Vernes et que toute une génération découvrit, en même temps, le monde et le plaisir de la lecture en suivant ses aventures. Le développement de Marabout junior s’accompagna de la multiplication d’initiatives visant à fidéliser ce jeune public, notamment grâce au lancement d’un club, à des concours ou à des objets à collectionner… En 1955 fut lancé l’équivalent féminin de Marabout junior, Marabout mademoiselle avec le personnage de Sylvie comme pendant de Bob Morane. La maison d’édition continua ainsi à se développer et à se diversifier avec, notamment, l’apparition des collections Marabout flash, Marabout université, Marabout géant illustré… avant de connaître un déclin inexorable à la fin des années 1970 et dans les années 1980.
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L’ambition de Marabout de conquérir l’ensemble du monde francophone est illustrée, dans la deuxième partie de l’ouvrage, par une étude de l’implantation de la maison d’édition belge au Québec. Jacques Hellemans est en effet parvenu à retracer, au prix de recherches minutieuses, l’histoire des éditions Marabout-Kasan, qui jouèrent un rôle crucial dans l’histoire de l’édition québécoise. C’est en 1951 qu’André Gérard confia la représentation générale de Marabout en Amérique du Nord à Dimitri Kasan, un jeune homme né à Ljubljana qui avait travaillé à Bruxelles dans le milieu de l’édition et souhaitait émigrer au Canada pour devenir… bûcheron ! L’anecdote souligne l’aventure humaine qui se cache derrière les romans d’aventures frappés du sigle de l’échassier et l’audace de la poignée d’hommes qui, partant de rien, réussirent en quelques années à franchir tous les obstacles. À peine arrivé à Québec, Dimitri Kasan, qui avait abandonné son projet d’être bûcheron pour le métier d’éditeur, enregistra sa marque avec l’intention de développer un instrument de culture de masse pour le public francophone canadien, à une époque où les livres, très chers, étaient réservés aux classes aisées. Il se montra aussi inventif en matière de marketing que sa maison mère en Europe et Marabout occupa rapidement une place dominante dans la diffusion du livre au Québec, particulièrement dans le domaine de la littérature de jeunesse.
Pour consacrer un tel succès, Dimitri Kasan convainquit André Gérard qu’une aventure du héros phare de Marabout, Bob Morane, devait se passer au Canada. Un voyage promotionnel d’Henri Vernes fut ainsi organisé en 1964, un voyage qui avait aussi pour but de lui faire découvrir la région de la Manicouagan et ses installations hydro-électriques, jugées par Kasan comme un cadre propice à une aventure de Bob Morane. Le livre nous donne un double éclairage sur ce voyage : d’abord, les souvenirs d’Henri Vernes dans la préface et, ensuite, la reconstitution, grâce à une impressionnante quantité de documents, de ce qui fut une tournée triomphale et un séjour d’inspiration littéraire. Entre l’imaginaire d’Henri Vernes et l’univers sauvage découvert autour de la rivière Manicouagan, la rencontre fut féconde. Un an plus tard, il revint en effet au Canada pour faire la promotion de Terreur à la Manicouagan, l’un des volumes marquants de la série.
L’ouvrage de Jacques Hellemans a le grand mérite de faire redécouvrir à la Belgique un pan important de son histoire littéraire. Il retrace de manière agréable, fluide et détaillée un succès d’une ampleur incroyable. L’ouvrage est aussi un plaisir pour les yeux grâce à une abondante iconographie (documents rares, couvertures, photographies…) reproduite en couleur.
François-Xavier Lavenne